Les
villes et les révolutions : cette 3e partie évoque succinctement la
stratégie militaire et politique de Mao Zedong, durant la guerre révolutionnaire
qui débuta en 1927 et se termina par une victoire complète en 1949.
Selon Gérard Chaliand, tant que les grandes victoires
révolutionnaires avaient été la Commune de Paris et la Révolution russe
d’Octobre 1917, l’analyse historique tendait naturellement à faire de
l’insurrection armée dans les villes, lieu de concentration du prolétariat urbain, la seule voie possible.
Les
victoires révolutionnaires en Chine, au Vietnam puis en Indochine ont
bouleversé cette prétendue évidence historique, en organisant au
contraire la révolution paysanne. Ou plus exactement en portant les
zones conflictuelles à la fois en milieu rural, dans les villes tenues
par l'ennemi pour des actions de propagande, de recrutement et de
renseignement mais aussi dans les villages puis les petites villes en
territoire libéré. Après la victoire des armées de Mao Zedong, en 1949,
la plupart des guerres révolutionnaires reprendront et adapteront ce
modèle. Il faudra attendre la fin des années 1960 pour voir la ville
ré-occuper une place centrale dans les stratégies
révolutionnaires.
Mao Zedong
la guerre révolutionnaire 1927 / 1949
En décembre 1927, à Canton,
des régiments de l'armée se mutinent et rejoignent la révolution des
ouvriers et des paysans menée par le Parti Communiste Chinois. La
stratégie employée reprenait celle de la Révolution russe de 1917 en
accordant un rôle central au Parti d’avant-garde qui s'emploie à la
réunion d’éléments nécessaires au succès révolutionnaire, paysans,
ouvriers et soldats. La
ville est prise par les révolutionnaires mais peu après, les troupes
régulières de l'armée cantonnées dans la région, écraseront les forces
révolutionnaires en trois jours seulement. Cette grande défaite amena
Mao Zedong à concevoir une stratégie nouvelle, quasiment inédite dans sa
forme moderne.
La stratégie de la guerre populaire prolongée
Elle
connaît trois phases : une phase de guérilla, stratégiquement défensive
(mais tactiquement très active, faites d’initiatives incessantes) ; une
phase d’équilibre stratégique ; une phase stratégiquement offensive où
les forces révolutionnaires sont en mesure de mener la guerre de
mouvement et (accessoirement) la guerre de position. Les principes
particuliers de la guerre populaire prolongée ont été ainsi définis par
Mao Zedong :
- D’abord attaquer les forces ennemies dispersées et isolées, ensuite les forces importantes.
- D’abord établir des zones libérées dans les campagnes, encercler les villes par les campagnes, s’emparer d’abord des petites villes, ensuite des grandes.
- S’assurer d’une forte supériorité numérique dans le combat (la stratégie est de se battre à un contre dix, la tactique à dix contre un).
- S’assurer du soutien du peuple, veiller au respect de ses intérêts.
- S’assurer du passage au camp révolutionnaire des prisonniers ennemis.
- Utiliser les temps entre les combats pour se reformer, s’entraîner et s’instruire.
Unité politique et militaire
Mais
selon Gérard Chaliand, " isoler l'apport strictement militaire de
ces écrits comme le font certains auteurs n'a aucun sens. Ce qui compte
c'est l'étroite unité politique et militaire de cette pensée. En effet,
la guérilla est une tactique militaire visant à harceler un adversaire.
La guerre révolutionnaire est un moyen militaire pour parvenir à
renverser un régime politique.
Mao Zedong en 1937 discutant avec des paysans |
En
quoi Mao Zedong et Zhu De innovent-ils ? Jusqu'à la seconde guerre
mondiale, la doctrine militaire, qu'elle soit de gauche ou de droite,
accorde à la guérilla un rôle subordonné. C'est donc, même s'il
n'apporte rien de neuf sur le plan strict de la technique, un mérite
réel qui revient à Mao Zedong d'avoir élaboré quelques textes majeurs
non pas sur la guérilla mais sur la guerre révolutionnaire.
Qu'est-ce
qui est en fait nouveau chez Mao ? Ce n'est nullement qu'il croie,
contrairement à tous ceux qui l'ont précédé, que la guérilla n'est pas
une force d'appoint à l'armée régulière, car il n'écrit pas sur la
guérilla. Il pense la guerre révolutionnaire, qui emploie soit des
armées régulières avec des techniques d'irréguliers, soit des corps de
partisans parallèlement aux armées régulières (en privilégiant celles-ci
par rapport à ceux-la selon les circonstances), enfin, lorsque c'est
possible, des coups de boutoir classiques.
La
nouveauté est ailleurs. Elle est politique et sa singularité est d'être
un avatar particulier et imprévu du léninisme. Malgré toutes les
limitations dont elle est frappée par ailleurs, notamment dans le cadre
des pays industrialisés et dans les pays socialistes en tant qu'origine
du phénomène bureaucratique, la théorie du parti d'avant-garde léniniste
est la nouveauté politique que Mao va greffer de façon imprévue, non
orthodoxe sur la paysannerie.
Comme
explication du monde contemporain (l'impérialisme), des causes locales
d'une situation (classes exploiteuses), et du moyen de la changer (prise
du pouvoir au profit des déshérités), le léninisme fournissait aux
intellectuels, semi-intellectuels et autres éléments plus ou moins
éclairés, humiliés, patriotes et radicaux, un outils et une solution.
Cette innovation politique, qui a rendu possible la révolution
d'Octobre, allait permettre en Europe (Yougoslavie, Albanie) et en Asie
(Chine, Indochine) de créer des mouvements nouveaux à partir du moment
où le parti d'avant-garde serait en mesure de bénéficier du soutien
d'une bonne partie de la population. Les apports chinois et vietnamien,
d'ailleurs très similaires, découlent du léninisme : propagande
généralisée, organisation des masses (les non-combattants comptent
autant que les combattants), parti d'avant-garde en tant qu'instrument
de la mobilisation politique et de l'encadrement militaire ; mais qui
atteint son pouvoir opérationnel en Asie à partir du moment où toutes
les conséquences ont été tirées de la découverte du potentiel
révolutionnaire de la question paysanne, et bien sûr du nationalisme
moderne. "
Gérard Chaliand.
Cet article fait suite à :
Partie 1 : Villes et Révolutions Rouges : Introduction
Partie 2 : 1917 : les Soviets de quartier en Russie
Articles associés :
Gérard Chaliand : guerres irrégulières 20 / 21e siècle
Sources :
T. Derbent
Catégories de la politique militaire révolutionnaire
Conférence présentée dans le cadre des formations du Bloc Marxiste-Léniniste
avril 2006
Gérard Chaliand
Les guerres irrégulières– xxe- xxie siècle – guérillas et terrorismes
Ed. Gallimard, 2008
1949 : propagande
2009 : marketing
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