Villes et Révolutions rouges [ Partie 1 ]







Nous partons d’un point d’extrême isolement, d’extrême impuissance. Tout est à bâtir d’un processus insurrectionnel. Rien ne paraît moins probable qu’une insurrection, mais rien n’est plus nécessaire.

Comité invisible
L’insurrection qui vient. (219/391)

Chapitre 1 : Les principales stratégies révolutionnaires Rouges

L’aboutissement de toute insurrection se situe forcément là où se tient et s’exerce le pouvoir, c’est à dire dans les grandes cités et capitales. Mais pour parvenir à cet objectif, de multiples stratégies sont possibles : certains stratèges prônent au contraire la prise des campagnes avant celle des villes ; d'autres tentent de mener deux fronts parallèles en assignant à l'une et l'autre des tâches bien précises, d'autres s'installent uniquement dans les grandes villes, d'autres les évacuent complètement, d'autres encore, face à la difficulté, se contentent de territoire libéré, éloigné de la capitale.



La catégorisation scrupuleuse des différents rôles des villes assignés par les stratèges des guerres révolutionnaires rouges, dans le cadre d'une insurrection, exigerait une étude ambitieuse et vraisemblablement un effort conséquent. Car en effet, en reprenant les termes de T. Derbent [1], « L’art de la guerre n’est pas un système rigoureux de connaissances des phénomènes et de leurs lois. En tant qu’activité concrète (et non spéculative), l’art de la guerre ne connaît jamais deux conditions identiques : les moyens, ni l’ennemi, ni le terrain, ni les conditions socio-économiques ne sont jamais pareils.» A cette première difficulté s'ajoute celle des caractéristiques idéologiques des groupes armés révolutionnaires : marxiste, léniniste, maoïste, guévariste, etc., mais aussi, selon Derbent : « D'autre part, la guerre n’est pas seulement un affrontement de forces matérielles, c’est aussi un affrontement de volontés, de forces morales qui modifient souvent radicalement la valeur des forces matérielles.»

Ainsi, avant d'aborder la question spécifique du rôle des villes dans les guerres révolutionnaires communistes -au sens large du terme-, il convient de passer rapidement en revue les principales stratégies révolutionnaires théorisées depuis l’entrée du prolétariat sur la scène historique. Nous reprenons ici, un très large extrait de l'allocution [à prendre comme tel, donc] de T. Derbent qui en a « recensé onze, mais c’est un peu arbitraire : on peut subdiviser certaines catégories pour en créer de nouvelles.»

Les principales stratégies révolutionnaires

T. Derbent

La très schématique énumération ci-dessous ne constitue pas un « catalogue » dans lequel il faut nécessairement choisir une formule toute faite. Chaque situation particulière exige une réponse particulière. Chaque cas concret recèle des éléments de ces différentes stratégies, soit par inertie (survivance d’anciennes méthodes), soit au contraire parce que la lutte fait surgir des méthodes qui seront théorisées et systématisées ultérieurement. Cette énumération peut tout au plus servir de guide.


La stratégie insurrectionnaliste blanquiste. 

La forme la plus achevée de cette stratégie est la stratégie blanquiste, théorisée dans Instructions pour une prise d’arme [2]. Un petit groupe de conspirateurs armés (entre 500 et 800 dans le cas du coup de force du 12 mai 1839) frappe lorsqu’il croit le peuple subjectivement prêt à l’insurrection agissant à la place du prolétariat inorganisé : ils s’emparent des armureries et distribuent les armes, frappent à la tête le pouvoir politique et les forces répressives (attaque de la Préfecture de police), produisent un plan systématique des barricades et organisent les masses ralliées à l’insurrection. Au niveau tactique, Blanqui faisait grand fonds de la tactique des barricades justement critiquées par Engels. La tactique passive des barricades, suivie par le prolétariat révolutionnaire jusqu’en 1848, et avait pour seule chance de victoire un refus d’obéissance massif des soldats de l’armée bourgeoise, voire leur passage au camp de l’insurrection.

La stratégie de la grève générale insurrectionnelle 

Héritage (revendiqué ou non) des thèses de Bakounine qui visait à provoquer l’abolition de l’Etat par une unique action collective, de préférence une grève générale, cette insurrection voit son déclenchement tributaire de la spontanéité des masses. Selon cette stratégie, la grève générale insurrectionnelle se déclenchera lorsque les masses seront subjectivement prêtes, et que ces dispositions subjectives permettront aisément de résoudre les questions objectives (militaires, organisationnelles) grâce à la créativité révolutionnaire des masses. Cette stratégie compte aussi sur un large effondrement du pouvoir bourgeois, toujours grâce aux dispositions subjectives des masses (désertions en masse dans l’armée, etc.). Cette stratégie a été reproposée dans l’entre-deux guerre par le courant syndicaliste-révolutionnaire, et on a pu en trouver des résurgences chez les "maos spontex" et dans l’ultra-gauche bordigiste.

La stratégie terroriste-exemplative 

Pratiquée par un courant du mouvement anarchiste et par les populistes russes. Elle se fonde soit sur la pratique individuelle, soit sur celle d’une organisation secrète — et dans tous les cas elle est coupée d’un lien organique aux masses. Leur seul lien aux masses est l’exemple de leurs actions ou de l’attitude de leurs militants face à la répression, et, éventuellement, quelques proclamations. La stratégie terroriste a pu frapper la réaction à son sommet, provoquer terreur chez l’ennemi et admiration chez les masses, elle n’a jamais pu convertir ces facteurs en forces susceptibles de renverser un régime. Cette stratégie n’a dans l’histoire connu que des échecs : on ne « réveille » pas les couches révolutionnaires des masses sans les organiser.

La stratégie insurrectionnaliste lénino-kominternienne

Elle fut pratiquée une première fois en Octobre 1917 et par la suite soigneusement théorisée (notamment à travers l’ouvrage collectif signé Neuberg, L’Insurrection Armée) et planifiée par les partis communistes dans les années 20 et 30. Elle intègre et systématise les analyses de Marx et Engels (et les leçons d’expériences comme celles de 1905) en accordant un rôle central au Parti d’avant-garde qui s'emploie à la réunion d’éléments nécessaires au succès révolutionnaire (élévation de la conscience révolutionnaire des masses, organisation politique et militaire des masses notamment par la création d’une garde rouge, entraînement et équipement de groupes de choc et emploi de ceux-ci en substitution à la tactique des barricades, création d’un état-major insurrectionnel, élaboration de plans de bataille, choix du moment du déclenchement, etc.). Cette stratégie a connu de graves échecs en Allemagne (1923), en Chine (1927), dans les Asturies (1934), au Brésil (1935) et ailleurs.

La stratégie de la guerre populaire prolongée 

Elle connaît trois phases : une phase de guérilla, stratégiquement défensive (mais tactiquement très active, faites d’initiatives incessantes) ; une phase d’équilibre stratégique ; une phase stratégiquement offensive où les forces révolutionnaires sont en mesure de mener la guerre de mouvement et (accessoirement) la guerre de position. Les principes particuliers de la guerre populaire prolongée ont été ainsi définis par Mao Zedong :
  • D’abord attaquer les forces ennemies dispersées et isolées, ensuite les forces importantes.
  • D’abord établir des zones libérées dans les campagnes, encercler les villes par les campagnes, s’emparer d’abord des petites villes, ensuite des grandes.
  • S’assurer d’une forte supériorité numérique dans le combat (la stratégie est de se battre à un contre dix, la tactique à dix contre un) [3].
  • S’assurer du soutien du peuple, veiller au respect de ses intérêts.
  • S’assurer du passage au camp révolutionnaire des prisonniers ennemis.
  • Utiliser les temps entre les combats pour se reformer, s’entraîner et s’instruire.

Victorieuse en Yougoslavie, en Albanie, en Chine et en Indochine, elle a connu d’importants échecs, notamment en Grèce (45-49) et en Malaisie (48-60).

La stratégie du coup de force

Elle se fonde sur un rapport de forces extrêmement favorable pour le parti révolutionnaire. Dans l’exemple de Prague en 1948, citons la présence de l’armée soviétique, la puissance et prestige du Parti Communiste, l’existence de milices populaires (15 à 18.000 ouvriers armés), le noyautage presque total du Corps de Sûreté nationale et de plusieurs unités de l’armée, etc. Cette stratégie présente l’avantage d’être infiniment plus économe que celles impliquant l’affrontement armé. Elle peut même conserver les apparences de la légalité, ce qui permet de neutraliser politiquement certaines couches sociales intermédiaires. Le coup de force est plus souvent le fruit d’une opportunité fournie par un conjoncture historique extraordinaire qu’une stratégie révolutionnaire théorisée et présentée comme modèle. Il a néanmoins pu avoir une application systématique parmi les jeunes officiers progressistes du tiers-monde qui, dans les années 60 et 70, étaient liés d’une manière ou d’une autre à l’Union soviétique.

La stratégie électoraliste/armée

Elle se base sur la thèse qu’une prise partielle du pouvoir est possible par des moyens légaux (pourvu qu’une ample lutte de masses garantisse les droits démocratiques) et que cette prise partielle du pouvoir donnera au mouvement révolutionnaire des moyens qui, s’ajoutant aux moyens propres des forces révolutionnaires, suffiront à garantir l’approfondissement du processus révolutionnaire et à parer la contre-offensive réactionnaire (coup d’Etat militaire ou intervention étrangère). Les organisations adoptant cette stratégie se dotent d’un potentiel militaire pour assurer une prise de pouvoir fondamentalement accomplie par les moyens légaux. Le général Pinochet a beaucoup fait pour invalider cette hypothèse stratégique, qui avait déjà connu un échec sanglant avec l’écrasement du Schutzbund autrichien en 1934.

La stratégie foquiste

Elle procédait d’une théorisation par la systématisation des particularités des guérillas actives à la fin des années 50 et au début des années 60 en Amérique latine (ainsi à Cuba). Elle fait de la création et du développement d’un foyer de guérilla rurale mobile l’élément central du processus révolutionnaire. Le foquisme n’avait pas une vocation universelle et reposait largement sur la thèse du dualisme des sociétés latino-américaine (la ville capitaliste et la campagne féodale), sur l’impossibilité d’établir des zones libérées à la manière chinoise et indochinoise, etc. Les foyers mobiles de guérilla sont appelés à se développer en armée populaire, à encercler les villes jusqu’au coup de grâce porté au régime par une grève générale insurrectionnelle dans les centres urbains. Le rôle du prolétariat se limitant au soutien à la guérilla rurale jusqu’au coup de grâce.

La stratégie néo-insurrectionnelle


Elle s’est forgée dans la foulée de la victoire de la révolution sandiniste au Nicaragua. Suite à cette victoire, plusieurs forces révolutionnaires ont abandonné totalement ou partiellement la guerre populaire prolongée qu’elles menaient parfois depuis des décennies, pour tenter de forcer la décision en provoquant des soulèvements urbains. Ce fut le cas de la Nouvelle Armée du Peuple, dirigée par le Parti Communiste des Philippines, jusqu’à la campagne de rectification de 1992 qui amena à un retour aux thèses de la guerre populaire prolongée.


La stratégie P.A.S.S. (stratégie combattante politico-militaire) et la Guerre Révolutionnaire Combinée (G.R.C.)

Elle a été définie et pratiquée par Mahir Çayan et les fondateurs du Parti Front Populaire de Libération de Turquie, puis assumée dans les années 70 et 80 par plusieurs organisations (Dev Yol, Dev Sol, MLSPB, THKP-Avant-garde révolutionnaire du Peuple, etc.). Selon cette stratégie, la guérilla reste principale jusqu’à l’étape de la guerre classique, et les autres méthodes de lutte (politique, économique, démocratique et idéologique) lui sont subordonnées. La stratégie PASS se divise en trois étapes :

  • La formation de la guérilla urbaine (il est plus facile de construire une force combattante dans une ville, les actions armées y trouvent plus d’échos, le terrain est socialement plus disposé à accepter et assimiler les actions d’un niveau élevé).
  • La propagation de la guérilla dans tout le pays, et la formation d’une guérilla rurale à côté de la guérilla urbaine (plus déterminante parce qu’une unité à la campagne peut se retirer et se développer en intégrant progressivement et continuellement des paysans, tandis que la guérilla urbaine, obligée de s’éparpiller dans des bases clandestines après chaque action, ne peut espérer établir une relation continuelle avec les masses et se développer vers une armée populaire).
  • La transformation des forces de guérilla en forces armées régulières.

La stratégie de guerre révolutionnaire prolongée

Elle a été définie et pratiquée par les organisations communistes combattantes européennes. Elle se base sur les principes de la guerre populaire prolongée maoïste mais en diffère profondément par l’abandon de toute forme de guérilla rurale (et donc toute idée d’encerclement des villes par les campagnes), par la substitution aux zones libérées de réseaux clandestins dans les organisations de masses (syndicats, etc.), par la plus grande importance donnée aux actions de propagande armée et par l’adoption de nouvelles formes organisationnelles entre travail partitiste et militaire (jusqu’à, dans certains cas, refuser la traditionnelle séparation Parti communiste/Armée rouge en formulant la thèse du Parti Combattant, légitimée par la qualité politique nouvelle de la lutte armée), etc.


On remarquera que ces stratégies se divisent en deux grandes catégories : celles qui cherchent la décision en une bataille (stratégies insurrectionnalistes) et celles qui cherchent la décision par une succession de combats et de campagnes (stratégies guérilleristes). A chacune d’elle correspond une déviation : déviation droitière, dans le cas des stratégies insurrectionnalistes dont l’adoption n’est parfois que le moyen choisi par une force minée par l’opportunisme pour différer l’affrontement au pouvoir ; déviation « de gauche », dans le cas des stratégies guérilleristes dont l’adoption n’est parfois que le moyen choisi par une force minée par le subjectivisme pour se dispenser d’un travail d’enracinement dans la classe.


Chapitre 2 : Les villes


Ces deux grandes catégories (stratégies insurrectionnalistes et stratégies guérilleristes), ainsi que les sous-catégories, établies par T. Derbent, peuvent ainsi déterminer aisément le rôle assigné des villes dans les révolutions, celui de zone conflictuelle principale, lieu de l'insurrection armée ou celui moins actif, ou strictement passif de base d'appui. Mais, bien évidemment, la réalité est bien plus complexe car la plupart des guerres révolutionnaires ont opérées sur les deux fronts [avec de remarquables exceptions] ville-campagne et tentent, dans la mesure du possible, de porter la lutte partout et en même temps. La victoire de la révolution cubaine, par exemple, fut tout autant la conséquence des combats des guérilleros dans les zones rurales que des actions des milices urbaines dirigées par Fidel Castro ; mais également des actions d'autres organisations armées ou non [notamment étudiantes], associées ou non, des syndicats [grèves, sabotages, etc.] qui opéraient dans les villes [une séquence du film de Coppola, Le Parrain II, évoque brièvement l'ambiance à La Havane]. D'autre part, dans un certain nombre de cas, les révolutionnaires devaient administrer de vastes zones libérées, comprenant des villages et des villes. 

A l'inverse, peu avant et après 1968, soit 50 années après la révolution russe d'Octobre, certains mouvements révolutionnaires abandonneront l'idée d'une guérilla rurale -quasi hégémonique après la révolution de Cuba- pour revenir vers les stratégies d'insurrection urbaine, notamment dans les pays latino-américains. Pour être ensuite reprises en Europe, territoire peu propice à l'établissement de guérilla rurale, et assimilées à celles de Palestine,  par les organisations communistes combattantes qui inventeront de nouvelles techniques et moderniseront d'autres déjà anciennes. La ville était alors l'unique lieu des affrontements. 

La ville insurrectionnelle, aujourd'hui

A ce jour, et depuis la révolution d'Octobre 1917 conduite par Lénine [mais dans le contexte très particulier de la première guerre mondiale], aucune guerre révolutionnaire communiste exclusivement urbaine n'a été victorieuse. Au contraire de révolutions victorieuses prenant comme stratégie un front de combat principal en zone rurale. Les principales guerres révolutionnaires rouges qui se déroulent aujourd'hui sont rurales et ont toutes pris naissance dans les années 1960 ; certaines vigoureuses dès leur naissance sont affaiblies aujourd'hui tandis que d'autres, plus discrètes hier, sont devenues particulièrement actives, notamment en Inde.

L'on observe peu de répercussions et d'activités révolutionnaires dans les villes. Ce qui peut paraître paradoxal, car n'a cessé démesurément de croître la grande ville, la jungle urbaine, l'immensité des bidonvilles. Mais les révolutionnaires rouges n'en font plus leurs terrains de prédilection, au contraire de la plupart des groupes armés des guerres d'indépendance, ethnique ou religieuse qui les investissent pour combattre, y mener des actions terroristes et recruter. Le colonel Dufour note que la ville se généralise et son immensité, qui la rend presque impossible à gérer, accentue son caractère belligène ; elle est devenue le lieu privilégié pour toute entreprise de prédation ou de conquête d’un pouvoir ; elle se révèle le dernier maquis où il est encore matériellement et tactiquement possible d’affronter une armée très moderne.

L'explication de ce phénomène est peut-être simpliste mais redoutablement exacte : les populations, classes moyennes et populaires, sont aujourd'hui majoritairement contre l'idée d'une révolution communiste. Après le Ya Basta mexicain, le spectre du Que se vayan todos ! parti d’Argentine commence à sérieusement hanter les têtes dirigeantes, annonçait le Comité invisible [L’insurrection qui vient. (6/391)]. A hanter les esprits des politiciens, mais sans plus, car la quasi insurrection de l'Argentine, en 2001, leur a démontré que les classes moyennes et la grande majorité des nouveaux pauvres n'étaient pas disposés à révolutionner la société malgré des conditions plus que favorables sinon exceptionnelles : crise économique longue sans précédent, classe moyenne ruinée, taux de chômage et de pauvreté extraordinaire, classe politique dénigrée et corrompue, crise du logement, extension des bidonvilles, etc., etc. De même en Thaïlande la passivité des classes moyennes lors des émeutes urbaines de 2010 à Bangkok, menées par les Chemises rouges, contre un gouvernement illégal. [Lien article].

La jungle urbaine, la grande ville apparaît ainsi pour les groupes révolutionnaires rouges comme le lieu de tous les dangers ; les militants urbains se montrent, à présent et après de douloureuses expériences, d'une extrême prudence, face aux forces de police aguerries dédiées spécialement à la contre-insurrection, face aux organisations para-militaires de l'extrême-droite, aux habitants susceptibles de les dénoncer par conviction politique ou sensibles aux promesses de forte récompense offerte par les autorités en cas de délation ou de trahison, argument ultra convaincant pour les plus indigents. Ce qui n'est pas nouveau, les Huks communistes des Philippines, en 1952, seront défaits par l'armée et dénoncés dans les villes, souvent par la populace. Mais il est vrai qu'après les évènements de 1968, les révolutionnaires étaient sinon soutenus mais bien admis dans le paysage politique et bénéficiaient d'un solide capital de sympathie. Le président Mitterrand, par exemple, refusa plusieurs extraditions de militants italiens.

S'ils ne sont guère actifs dans les villes -outre les réseaux que nous ne connaissons pas, mais qui existent-, les groupes révolutionnaires peuvent à présent bénéficier du réseau internet [4]. Leur propre site mène ainsi de nouvelles formes de propagande, et de contre-informations offertes au monde entier. Mais le réseau internet est particulièrement surveillé et son rôle ne peut être dédié ou intégré comme outil insurrectionnel. Ainsi, par exemple, lors de l'insurrection égyptienne de 2011, certaines organisations rebelles interdisaient la divulgation via internet [Twitter, Facebook, etc.] des lieux de manifestation prévue et informaient par bouche à oreille ; contournant ainsi les mesures de surveillance du réseau mises en place par les autorités. De même, la police anglaise traque aujourd'hui les émeutiers via le lieu et l'heure d'appel téléphonique et/ou d'envoi de sms.

Les territoires libérés

cela, l'EZLN au Chiapas, a ainsi pris par la force et organisé un vaste territoire autonome, comprenant plusieurs grands villages. Des communes autonomes, auto-gérées, refusant toute aide du gouvernement -qui les tolèrent-, défendues par les militants armés au visage caché qui utilisent parfois leur arme contre les organisations para-militaires. Une sorte de réformisme radical armé dont l'idéologie s'inscrit dans cette tendance de théoriciens critiques actuels qui défendent l'idée d'une stratégie visant à maintenir à distance l'appareil d'Etat plutôt qu'à l'affronter directement. Le philosophe anglais établi au Mexique, John Holloway, avance l'idée fondamentale, dans son ouvrage Changer le monde sans prendre le pouvoir, paru en 2002, d'un anti-pouvoir dont le but est de renoncer à la prise du pouvoir mais de changer le monde en profitant des espaces de liberté que le capitalisme produit inévitablement. Une célèbre phrase du sous-commandant Marcos résume parfaitement cette théorie : « Nous ne voulons pas le pouvoir, nous voulons pouvoirCertains penseurs parmi les plus radicaux dénoncent la forme d'hypocrisie de ce système de co-existence pacifique qui, finalement, apporte dans les faits, que peu d'avantages aux populations : la pauvreté et l'injustice sévissent encore au Chiapas, dans d'autres régions et dans les villes. [Lien article EZLN].

Le Nouveau Parti Anti-capitaliste et la ville

En Europe, les émeutes ou les manifestations de mécontentement sans grande portée [Portugal, Espagne, Grèce, Angleterre] offrent aux gouvernements, outre l'opportunité de renforcer leur système anti-insurrectionnel, la plus grande satisfaction de ne voir apparaître aucune nouvelle organisation radicale, susceptible de fomenter des attentats et de guider le peuple en lutte. Ou d'apprécier la passivité de certaines organisations politiques de ne pas profiter pleinement du mécontentement populaire.

En France, le Nouveau Parti Anti-capitaliste [NPA], qui a renoncé à toute idée de révolution, semble accorder une attention nouvelle -mais bien timide- aux quartiers populaires et notamment aux grands ensembles d'habitat social. Dans un article que nous avons publié, M. Bensaada, membre fondateur du CRAP (Collectif de réflexion et d’action populaire, né à Marseille), évoque l'objectif de leur re-politisation : Le vrai défi pour le NPA dans les Quartiers Populaires n’est pas de répondre ou de devancer les attentes de cet électorat mais de s’inscrire comme acteur principal de leur re-politisation. Les slogans, la littérature militante, les tracts, les réunions n’auront de prise sur les habitants que si le NPA n’est plus perçu comme une entité exogène, qualité qui fait douter nos concitoyens de la sincérité de nos implications à leurs côtés parce qu’ils sont échaudés par les pratiques caricaturales et humiliantes auxquelles les ont habitués le PS et l’UMP. Il faut, me semble-t-il, éviter de voir les QP comme une masse compacte homogène et de sombrer dans un romantisme militant qui nous ferait considérer leur problématique de façon manichéenne. C’est l’erreur que fait le Comité invisible dans L’Insurrection qui vient. Celles et ceux qui ont commis ce texte sont sincères mais ils y projettent le fantasme d’une révolte à venir sans tenir compte de la réalité crue et de la complexité de la psychologie collective des QP. Il ne suffit pas de souhaiter ardemment que Babylone brûle et de désigner le boute-feu pour que l’affaire soit faite. Pour aspirer à un changement, il faut avoir l’espoir que les choses puissent changer, or là est tout le problème, l’utopie n’est pas dans la tête de celui qui touche le RMI ou le RSA. Le rêve des lendemains qui chantent a quitté le cœur des mères isolées, il n’est pas non plus dans celui de celles et ceux qui n’héritent que de la misère, chômeurs de père en fils, précaire de mère en fille. […] Mais en attendant, nous devons être partout où le feu couve pour donner du sens aux accès de rage légitime, nous devons être attentifs à la façon dont les luttes se mènent parce que, face aux partis institutionnels, notre salut réside dans le harcèlement continu (Guérilla politique intra-urbaine) plutôt que dans le choc frontal. Dans nos quartiers, le pire côtoie le meilleur mais à l’instar d’une centrale hydro-électrique le NPA doit canaliser la force et l’énergie populaire de ces quartiers pour la transformer en matière hautement politique. 

La tâche est gigantesque mais elle est indispensable. [Lien article]



Partie 1 : Villes et Révolutions Rouges




Partie 4 : Vietnam


NOTES

[1] T. Derbent [pseudonyme] est un membre fondateur des Cellules Communistes Combattantes [Belgique], emprisonné pendant 14 années, aujourd'hui libéré et auteur d'ouvrages concernant les guerres révolutionnaires.
[2]La manière dont Lénine se défend des accusations de "blanquisme" ne doit pas masquer le fait que la prise d’arme blanquiste est l’étape intermédiaire entre le complot babouviste et l’insurrection léniniste. L’épithète de "blanquiste" que Plekhanov et Martov jetaient à la tête de Lénine n’avait qu’un lointain rapport avec le blanquisme authentique. Il signifiait, dans le vocabulaire politique de l’époque, tenant du complot plutôt que de l’action de masses.
[3] Ce principe a été théorisé par Mao Zedong dans De la guerre prolongée et Zhu De dans Sur la guérilla anti-japonaise. Mais Giap et l’ensemble de la direction vietminh ne l’approuvaient pas, et en tout cas le jugeaient inadapté à la situation vietnamienne. Les effectifs limités des forces vietminhs les ont souvent amenés à lutter à effectif égal à l’échelle tactique ; la surprise, la meilleure connaissance du terrain et la qualité opérationnelle des troupes (préparation à la force de combat pratiquée et héroïsme révolutionnaire) suffisant à faire la différence. — S’assurer du haut niveau de conscience politique des combattants, afin qu’ils soient supérieur en endurance, courage et esprit de sacrifice.
[4] De même pour d'anciennes organisations communistes combattantes aujourd'hui dissoutes mais, toujours actives dans les débats et qui nous offrent une version historique des faits, souvent bien différente de celle des médias.


Sources :


T. Derbent

Catégories de la politique militaire révolutionnaire
Conférence présentée dans le cadre des formations du Bloc Marxiste-Léniniste
avril 2006


Gérard Chaliand

Les guerres irrégulièresxxe- xxie siècle – guérillas et terrorismes
Ed. Gallimard, 2008


M. Bensaada

Guérilla politique intra-urbaine
2010

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