Mouvements réactionnaires,

révolution conservatrice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 


- Serge BILE, Noirs dans les camps nazis, Monaco, Editions du Rocher/Le Serpent à plumes, 2005, 157 p.

- Daniel BLATMAN, En direct du ghetto. La presse clandestine juive dans le ghetto de Varsovie, 1940-1943, Paris, Cerf, 2005

- Hubert BONIN, Bernard LACHAISE, Françoise TALIANO DES GARETS, Adrien Marquet. Les dérives d'une ambition, Bordeaux, Paris, Vichy (1924-1955), Bordeaux, Editions Confluences, 2007, 383 p., 24 €

- Philippe BUTON, La Joie douloureuse. La Libération de la France, Bruxelles-Paris, Editions Complexe et IHTP, 2004.

- Georges CADIOU, L'hermine et la croix gammée. Le mouvement breton et la collaboration , Rennes, Editions Apogée, 2006, 383 p., 9,50 €

- Johann CHAPOUTOT, Le national-socialisme et l'Antiquité , Paris, PUF, 2008, 532 p., 28 €

- Jean-René CHAUVIN, Un trotskiste dans l'enfer nazi. Mauthausen-Auschwitz-Buchenwald (1943-1945) , Paris, Syllepse, 2006, 248 p., préface de Michel Lequenne, index, 20 euros.

- Thierry DERBENT, La résistance communiste allemande, 1933-1945 , Bruxelles, Aden, 2008, 113 p

- Michel DREYFUS, L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours , Paris, La Découverte , 2009, 348 pages, 23 euros

- Marek EDELMAN, La vie malgré le ghetto , Paris, Liliana Levi, 2010, 170 p., 16 €

- Fabienne FEDERINI, Ecrire ou combattre. Des intellectuels prennent les armes (1942-1944), Paris, La Découverte, 2006

- Stéphane FRANCOIS, Le nazisme revisité. L'occultisme contre l'histoire , Paris, Berg international éditeurs, 2008, 128 pages, 18 €

- Eric FOURNIER, La Cité du sang. Les bouchers de La Villette contre Dreyfus , Paris, Libertalia, 2008, 147 pages, 13 €

- Varian FRY, « Livrer sur demande ». Quand les artistes, les dissidents et les juifs fuyaient les nazis (Marseille, 1940-41), Marseille, Agone, 2008, 352 p., 23 €

- Wilhelm GEGENBACH, Face au fascisme allemand (1929-1933). Une vie contre le capitalisme (1 ee partie) , La Bussière, Acratie, 2006, 537 p

- Georg K. GLASER, Secret et violence. Chronique des années rouge et brun (1920-1945) , Marseille, Agone, 2005

- Charles GLASS, Les Américains à Paris. Vie et mort sous l'Occupation nazie , Paris, Editions Saint-Simon, 2010, 391 pages, 23 €

- Mary Jayne GOLD, Marseille année 40, Paris, Editions Phébus, Collection Libretto, 2006, 473 p., 11,50 €

- Bernard GOLDSTEIN, L'ultime combat. Nos années au ghetto de Varsovie, Paris, 2008, éditions La découverte, Zones. 267 pages. 17 €

- Kurt GOSSWEILER, Hitler. L'irrésistible ascension ? Essais sur le fascisme, Aden, Bruxelles, 2006, 244 p

- Heinz HEGER, Les hommes au triangle rose, préface de Jean Le Bitoux, Béziers, H§O éd., 2006, 180 p.

- Nico JASSIES, Marinus van der Lubbe et l'incendie du Reichstag, Paris, Editions antisociales, 2004, 185 p.

- Franz JUNG, Le chemin vers le bas. Considération d'un révolutionnaire allemand sur une grande époque (1900-1950) , Marseillle, Agone, 2007, 559 p

- Stefani KAMPMANN, La vague , Paris, J.C. Gawsewitch éditeur, 2009, 172 pages, 16,95€

- Jacques LECLERCQ, Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours , Paris, L'Harmattan, 2008, 698 pages, 59 €

- Jacques LECLERCQ, Droites conservatrices, nationales et ultras. Dictionnaire 2005-2010 , Paris, L'Harmattan, 2010, 228 p., 23 €

- Cyril LE TALLEC, Petit dictionnaire des cultes politiques en France, 1960-2000 , Paris, L'Harmattan, collection « Questions contemporaines », 2010, 280 pages, 25 euros

- Marcel LIEBMAN, Figures de l'antisémitisme, Bruxelles, 2009, éditions Aden, 227 pages, 20 €

- Jean-Jacques MARIE, L'antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine , Paris, Tallandier, 2009, 448 pages, 27 euros

- Zenzl MUHSAM, Une vie de révolte, Baye, La digitale, 2008, 243 p., 18 €

- Didier MUSIEDLAK, Mussolini, Paris, Presses de Sciences politiques, 2005, 436 p.

- Lionel RICHARD, Goebbels. Portrait d'un manipulateur, Bruxelles, André Versailles éditeur, 2008, 279 pages, 20 €

- Friedländer SAUL, Pie XII et le IIIe Reich , suivi de Pie XII et l'extermination des Juifs. Un réexamen (p.285-305, complément de 2009), Paris, Seuil, réédition en 2010 d'un texte de 1964, 305 p. 20 €

- Gilles VERGNON, L'antifascisme en France de Mussolini à Le Pen , Rennes, PUR, collection « Histoire », 2009, 236 pages, 17 euros


 

 

Serge BILE, Noirs dans les camps nazis, Monaco, Editions du Rocher/Le Serpent à plumes, 2005, 157 p.

Le livre de S.Bilé, défendu chaleureusement par Catherine Bédarida dans Le Monde du 18 février 2005 (elle parle de "stèle" dressée à ces dizaines de milliers de morts) est attaqué sévèrement dans le même quotidien par 3 universitaires (Joël Kotek, Tal Bruttmann, Odile Morisseau), le 20/21 mars 2005. Ils lui reprochent tout d'abord de ne consacrer que le tiers du livre au sujet, "les Noirs dans les camps", et de le faire en se contentant de généralités et en commettant des erreurs et des approximations. En fait, en exagérant les persécutions dont auraient été victimes les Noirs - alors que, d'après les 3 universitaires, "les Noirs ne furent pas l'objet d'une attention particulière de la part des Nazis" -, l'auteur est accusé de vouloir banaliser le génocide des Juifs. D'ailleurs, Dieudonné a tenté d'instrumentaliser le livre de Bilé, le brandissant lors de sa conférence de presse, à Alger, le 16 février, au cours de laquelle il avait qualifié la commémoration de la Shoah de "pornographie mémorielle". M.Bilé avait vivement condamné la démarche de Dieudonné.
En fait, quels sont les apports et les limites du livre de Bilé? Il montre que le racisme des Nazis vint de loin. Dès le XIXe siècle, dans leurs colonies d'Afrique noire , les Allemands instituent un système de développement séparé, inventant l'apartheid avant l'Afrique du Sud. Les mariages mixtes sont dénoncés par les autorités, et tout Allemand qui contrevient à cette règle est déchu de ses droits civiques. Même si le gouverneur du Sud-Ouest africain, future Namibie, qui mène la terrible répression contre les Herero, n'est pas Heinrich Goering, le père de Hermann Goering, il y a bien eu génocide, le premier du siècle (1904)(1). Quant au Docteur Eugen Fischer, qui dirige sur place des études racialistes, il sera, sous les nazis, responsable de l'Institut d'eugénisme de Berlin.
La défaite de 1918, l'occupation de la Rhénanie par des troupes françaises en partie noires ne fait qu'accroître la xénophobie en Allemagne. Une fois au pouvoir, Hitler ordonne la stérilisation de la moitié des enfants métis nés au cours de la période d'occupation, les autres étant envoyés en camp de concentration. L'auteur ne peut dire combien de Noirs ont été déportés par les nazis, il fait plutôt se succéder une série de portraits de Noirs victimes de ce régime. Journaliste ivoirien, Serge Bilé a travaillé à partir de sources secondaires et d'entretiens, et non à partir d'archives en effet. Son ouvrage, stimulant, ouvre des pistes à explorer plus en profondeur et à élargir à d'autres pays d'Europe comme la France, qui montrait elle aussi ses indigènes dans des "zoos humains".
Ce livre, qui s'est vendu à 50.000 exemplaires, devait recevoir le Prix France Télévision Essais 2005. Du fait de la polémique qu'on vient de résumer brièvement, les membres du jury ont finalement choisi La Traversée des frontières de Jean-Pierre Vernant.

Jean-Paul Salles

(1) D'après les 3 universitaires, Heinrich Goering aurait bien dirigé la colonie, mais 14 ans avant le déclenchement du génocide (Le Monde 20-21 mars 2005).

 

 

Daniel BLATMAN, En direct du ghetto. La presse clandestine juive dans le ghetto de Varsovie, 1940-1943, Paris, Cerf, 2005 septembre 2006*

Avec ce second ouvrage de l’universitaire israélien, on dispose d’un livre absolument essentiel sur les mouvements de résistance juive au sein du principal ghetto de l’Europe occupée, celui de Varsovie. Grâce à l’exceptionnel travail de collecte de ce lui qui fut l’archiviste et le mémorialiste du ghetto, Emmanuel Ringelblum, 250 numéros de 52 organes de la presse clandestine ont pu être sauvés. Ces documents d’une exceptionnelle valeur pour la connaissance de la vie du ghetto, de sa respiration, ont été publiés dans leur intégralité en hébreu, après des années de recherches. Ils forment un important ensemble de six volumes publiés entre 1979 et 1997. Dans cet ouvrage, qui constitue en quelque sorte l’anthologie française de ses textes, seule une petite fraction est offerte à la lecture. Blatman nous offre dans une centaine de pages introductives une réflexion fort utile permettant de lire ses extraits de la presse. Il rappelle la fonction de ce type de presse, ses conditions d’élaboration et son rôle comme contre information à la presse juive éditée par l’occupant allemand. Il rappelle surtout que cette presse est essentiellement une presse de gauche, en particulier des organisations de jeunesse du mouvement ouvrier, ceux qui formerons les cadres de l’insurrection de Varsovie en 1943. Il démontre également l’importance de cette presse pour maintenir le contact, fragile, avec le reste de la population polonaise, hors du ghetto. D’ailleurs une grande partie des journaux était éditée en polonais, le reste en yiddish et quelques uns, rares, en hébreu. Il s’agit d’abord et avant tout d’une presse affirmant un certain nombre de valeurs, au moment où précisément le nazisme s’efforçait de les faire disparaître. C’est pourquoi cette presse joua un rôle crucial dans le maintien des liens collectifs, structurant les futurs noyaux de résistance armée, même si cette presse n’appela jamais à la résistance armée, ce qui n’aurait eu aucun sens. Sa précieuse introduction se conclut donc par le constat que « Toute étude de la Résistance juive populaire, sous la conduite de groupes combattants composés de jeunes et de membres des divers mouvements politiques au printemps 1943, se doit de prendre en compte le rôle joué par la presse clandestine dans la traduction de cette résistance en actes », p. 95. Suivent ensuite, regroupés autour de 9 thèmes ((la question des disparités sociales, le problème des réfugiés, les enfants, la misère, la faim, la vie quotidienne dans le ghetto, le suivi de l’édification du ghetto, les mesures antijuives, les premières semaines d’occupation), des extraits de journaux dont une liste est dressée en fin de volume (des diverses variétés de sionistes aux trotskistes en passant par le Bund, les communistes, et même quelques rares groupes religieux). Ce n’est pas sans une certaine émotion que l’on peut lire des extraits de Czerwony Sztandar, le journal des trotskystes juifs, dénonçant par exemple le caractère de classe du Judenrat, la structure communautaire mise en place par les nazis. A noter l’absence de presse anarchiste, soit parce qu’elle n’existait pas, soit parce qu’elle n’a pas été conservée. Un carnet photo enrichit encore cet ouvrage dont le seul regret est qu’il n’offre que des extraits. Pour le reste, on ne peut que souhaiter que cet ouvrage devienne une lecture nécessaire pour les résistances à venir.

G.U.

- Blatman Daniel, Notre liberté est la vôtre. Le mouvement ouvrier juif Bund en Pologne, 1939-1949, Cerf, Paris, 2002. Compte rendu dans Dissidences 12-13, oct. 2002
- Ringelblum Emmanuel, Chroniques du ghetto de Varsovie, Paris, Payot, 1995

 

Hubert BONIN, Bernard LACHAISE, Françoise TALIANO DES GARETS, Adrien Marquet. Les dérives d'une ambition, Bordeaux, Paris, Vichy (1924-1955), Bordeaux, Editions Confluences, 2007, 383 p., 24 €. février 2008*

Certaines annexes – état des sources ou reproduction d'une trop longue lettre d'une amie de Marquet (p.301-311) – auraient pu être abrégées, alors que manque une bibliographie récapitulative. Cette réserve bénigne émise, disons tout l'intérêt du livre des universitaires bordelais. Jusqu'ici le personnage Adrien Marquet, maire collaborateur de Bordeaux et même un temps court Ministre de Pétain, apparaissait brièvement dans les ouvrages sur Vichy (Paxton, Ory ou encore Handourtzel-Buffet, La collaboration à gauche aussi , Perrin,1989). L'énorme mérite des auteurs est de retracer l'itinéraire de cet homme, des origines de son engagement socialiste précoce jusqu'à sa dernière tentative de réintégrer la scène politique bordelaise (municipales de 1953).

Il entre en politique à l'âge de 20 ans, sensibilisé très jeune aux difficultés des milieux populaires, explique B. Lachaise. Peu après avoir obtenu son diplôme de dentiste, il s'engage surtout dans une carrière de militant, étant un des 12 délégués de la Gironde au Congrès d'unité socialiste de 1905. A l'époque la fédération socialiste de la Gironde est la 3 e de France, après celles du Nord et de la Seine. B. Lachaise rappelle la part de chance qui explique son ascension : la mort relativement précoce du leader socialiste bordelais Camelle lui permet d'être élu conseiller général en mars 1924, député en mai de la même année puis maire de Bordeaux en mai 1925. Une ascension fulgurante expliquée aussi par ses talents d'orateur, son élégance légendaire. A Paris, député discret, il est très actif par contre à la SFIO, notamment dans la tendance « La Vie socialiste » de Pierre Renaudel, favorable au Cartel avec les radicaux et à la participation ministérielle des Socialistes. Cette question, entre autres, sera à l'origine de la scission d'octobre 1933. Il participe à la création, avec Marcel Déat, du Parti Socialiste de France (les néo-socialistes), emmenant 63% des socialistes girondins, et 6 des 7 députés socialistes de Gironde. Leur slogan était « Ordre, autorité, nation ». Après le 6 février 1934, Marquet – dont le moteur principal semble être l'ambition personnelle – ayant accepté de participer au gouvernement de Doumergue comme Ministre du Travail, voit ses relations avec Déat se détériorer. Il fonde en novembre 1934 un nouveau parti, le Parti néo-socialiste (on parlera des néo-néo !), qui revendique 2000 militants en Gironde contre 80 inscrits au PSF. Toujours cet étonnant ancrage local et désormais cette droitisation/fascisation de Marquet qui préconise un « ordre nouveau » et revêt ses partisans de la chemise grise !

La formation du Front populaire et les élections d'avril-mai 1936 ne mettent pas un terme à sa carrière. Il réussira, certes de peu, à battre au second tour le candidat du Front populaire, un militant SFIO. B. Lachaise nous rappelle opportunément – la confusion politique est totale ! – que le PC aurait voulu faire alliance avec Marquet contre le fasciste Henriot. La SFIO a refusé. La défaite, suivie de la naissance de l'Etat français, lui permet de nouveau d'accéder aux responsabilités ministérielles. Il devient Ministre de l'Intérieur (27 juin-6 septembre 1940) et à ce titre mute ou limoge les préfets jugés trop proches de la gauche républicaine (H. Bonin). Il ne dit mot quand un de ses adjoints, d'origine juive, doit quitter le conseil municipal en octobre 1940. Cet homme, Joseph Benzacar, professeur de Droit, qui avait accompagné son ascension politique, sera déporté (comme 1680 autres Juifs bordelais) et mourra à Auschwitz. Pas plus que Pétain pour la France, Marquet ne fut pour Bordeaux un « bouclier », mais plutôt une « courroie de transmission » (H. Bonin). Il sera donc condamné au cours de son procès (décembre 1947-janvier 1948) à 10 ans d'indignité nationale, après avoir fait 40 mois de prison. Son inéligibilité sera levée par une loi d'amnistie d'août 1953. N'ayant pas pu lui-même être candidat aux municipales de 1953 – le décret d'application avait tardé -, il patronne une liste (modérés + indépendants) qui obtient 29% des suffrages exprimés et 10 sièges, autant que les deux listes PC et SFIO, celle de Chaban Delmas obtenant 42% et 17 sièges. Etonnante carrière politique d'un homme auquel les bordelais sont restés fidèles malgré sa dérive fasciste. La contribution de Françoise Taliano des Garets sur son action culturelle, celle d'Hubert Bonin sur ses réalisations édilitaires, permettent de mieux comprendre les raisons de son charisme. B. Lachaise explique aussi que son tournant idéologique de 1933 l'avait rendu acceptable aux yeux des modérés. Enfin, par son rôle national – et bien sûr ses successeurs, Jacques Chaban Delmas et Alain Juppé combleront aussi les bordelais de ce point de vue – il contribua à faire connaître Bordeaux, « une ville dont on parle ».

Salles Jean-Paul.

 

Philippe BUTON, La Joie douloureuse. La Libération de la France, Bruxelles-Paris, Editions Complexe et IHTP, 2004. juillet 2006*

Cet ouvrage fait le point des connaissances sur la Libération de la France (1944-46). L’auteur, universitaire confirmé, a une connaissance exhaustive des travaux récents, mais pourquoi une fois encore ne pas joindre une bibliographie, le lecteur devant se référer aux notes infrapaginales, très fournies, pour prendre connaissance, plus malaisément, de la littérature sur la question.
Tout est passé en revue : la fascisation du régime de Vichy, les aspects militaires du débarquement, ou encore l’épuration. La légende des 100.000 fusillés est taillée en pièces, le chiffre étant ramené à 11.000. D’une certaine manière, ce sont les femmes qui ont été punies surtout, humiliées, tondues, promenées dans les rues … pour avoir fréquenté des Allemands. L’identité masculine de la France ayant été mise à mal par la défaite et l’occupation, le sort réservé aux femmes à la libération s’apparente à une purification. C’est un violent retour à l’ordre patriarcal.
Mais les pages les plus nouvelles, pour nous, sont celles que l’auteur consacre à la mémoire de l’événement. Et, pour cela, il utilise le riche matériel iconographique produit à l’époque, donnant quelques commentaires d’affiches magistraux (cf. son commentaire de la Marianne de Paul Colin reproduite en couverture, p.192 et sq.). Mais surtout, après avoir évoqué le « résistancialisme » du PC, un parti qui va « surfer » pendant des décennies sur cette mémoire, Ph. Buton parle de l’extrême gauche, en termes parfois schématiques certes – la position des trotskystes est un peu plus compliquée qu’il ne le dit – mais de façon sérieuse. Il voit bien les positions différentes des trotskystes, il est donc injuste – ou il se contredit !- quand il parle un peu plus haut de leur « dogmatisme » . Certains avaient sans doute tendance à assimiler la Seconde Guerre mondiale à la Première, mais pas tous. Marcel Hic, le principal leader trotskyste, avant d’être arrêté et déporté, avait pris contact avec Jean Moulin.
Ceci dit, les Bordiguistes n’ont pas hésité, semble-t-il, à ramener le nazisme au rang d’un capitalisme classique. Ils seraient allés jusqu’à écrire, mais après la guerre, que les Juifs appartenant à la petite bourgeoisie, le génocide aurait été le moyen choisi par le grand capital pour augmenter la concentration capitaliste (d’après un article de la revue Le programme communiste du début des années 1960, évoquée et non citée avec précision).
Récemment Rouge et la LCR ont donné un étonnant exemple de la pluralité des mémoires existant dans l’extrême gauche, et en l’occurrence au sein de la même organisation, à propos de la Libération. Pour Galia Trépère, « La guerre n’avait pas un objectif différent de celui de la Première Guerre mondiale : un nouveau partage du monde et de ses richesses ». Elle n’hésite pas à écrire à propos du bombardement de Dresde et de villes allemandes : »Terreur délibérée pour paralyser et culpabiliser ceux qui avaient subi la dictature nazie après avoir lutté contre : il fallait empêcher qu’ils puissent se soulever comme venaient de le faire les travailleurs grecs ou italiens » (in Rouge n°1975, 20 juin 2002). Une telle vision des choses suscite une rapide réaction d’autres militants (Rouge n°1978, 11 juillet 2002 : François Duval, Pierre-François Grond, Christian Picquet). Pour eux, le judéocide n’est pas la simple conséquence de la lutte pour un nouveau partage du monde. De même, la lutte de libération nationale dans les pays occupés par les nazis était justifiée (France, Grèce, Italie). Et les combattants des FTP-MOI ne ressemblaient en rien aux paysans et ouvriers menés à la boucherie en 1914-18. Et de regretter, sans vouloir jouer les donneurs de leçons – car les trotskystes de ces années furent effroyablement persécutés par les nazis et par les staliniens – que les révolutionnaires n’aient pas joué un rôle plus important dans les combats de la Résistance. Cela leur aurait permis d’être plus écoutés à la Libération.

Salles Jean-Paul.

 

 

Georges CADIOU, L'hermine et la croix gammée. Le mouvement breton et la collaboration , Rennes, Editions Apogée, 2006, 383 p., 9,50 €. décembre 2006*

Cet ouvrage est la réédition revue et augmentée (première édition en 2001) d'un livre écrit par un journaliste de France bleue-Breiz-Izel. Il a le mérite de redonner vie à des hommes bien oubliés aujourd'hui, qui avaient eu la folie de penser qu'en se mettant au service de Hitler et des nazis, ils donneraient naissance à une Bretagne indépendante. Après la terrible défaite de la France, en juin 1940, ces hommes pensaient que L'Heure bretonne  (titre d'un de leurs hebdomadaires de 1940) avait sonné. Il faut rappeler que la plupart des nationalistes bretons de l'entre-deux-guerres sont des extrémistes de droite, évoluant vers le nazisme. Ainsi Olier Mordrel, dirigeant de Breiz Atao (Bretagne Toujours), qui dans son programme de 1933 envisage l'exclusion des postes de responsabilité des étrangers, « particulièrement les races latines et de couleur, excepté le cas des Nordiques », car il voyait les Bretons comme « un peuple nordique » cousin en aryanité des Germains (sic). Pendant que Mordrel évolue vers le nazisme, le linguiste Roparz Hemon (agrégé d'anglais, professeur au lycée de Brest) se voue à la renaissance de la « langue bretonne », notamment dans sa revue Gwalarn (Nord-Ouest), créée en 1925. Pour lui, il faut éradiquer le français de Bretagne, car « le français dans nos écoles, c'est l'esprit de la France au milieu de nous ». En 1942-43, le Parti nationaliste breton (PNB) mènera campagne contre les « mocos », c'est-à-dire les méridionaux accusés d'accaparer les postes de fonctionnaires.

En Allemagne, certains cercles nazis s'intéressent au mouvement breton (l'Emsav), à ses militants, dont certains feront de longs séjours en Allemagne, avant et après l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Mais devant le peu d'écho obtenu par ces extrémistes en Bretagne, les autorités allemandes d'occupation décideront de ne pas les instrumentaliser, se contentant de les utiliser comme espions. Il n'y aura pas d'Etat breton, mais une province, dirigée par des élites traditionalistes séduites par Pétain et appuyées par l'Eglise. Le grand journal local, L'Ouest-Eclair, de « journal républicain du matin » deviendra « journal quotidien régional ». Il tirait à 400.000 exemplaires, L'Heure bretonne à 40.000. Le principal parti nationaliste (le PNB) ne semble jamais avoir eu plus de 3.000 militants. Les nationalistes bretons réussiront malgré tout à intéresser des jeunes gens de talent, Morvan Lebesque par exemple, un moment journaliste à L'Heure bretonne , et qu'on retrouvera après la guerre au Canard Enchaîné .

Certains nationalistes bretons, engagés dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF) sur le front russe, auraient représenté 30% des effectifs. Les troupes de choc du PNB, les Bagadoù Stourm rebaptisés Strolladoù Stourm (SS) participèrent à la chasse aux résistants et aux réfractaires au STO. Les miliciens revêtus de l'uniforme allemand de la formation Bezen Perrot (du nom d'un abbé anti-communiste et antisémite exécuté par les résistants) s'illustrèrent de sinistre manière en laissant de nombreux charniers sur leur passage. Pour tenter d'expliquer ces actions, un ancien confie à un enquêteur, en 1974 : « Nous étions jeunes, enthousiastes, décidés à donner à notre pays breton une nouvelle chance d'exister après quatre siècles d'occupation française ». Mais en 1945, pour les Bretons, Breiz Atao est synonyme de collaboration et de massacres. Ayant refait surface à la fin des années 1950, l'Emsav s'employa, en se positionnant à gauche, à se démarquer de ce passé récent, sans vraiment rompre totalement avec lui : les scandales provoqués il y a quelques années par des établissements culturels liés au réseau des écoles Diwan (enseignement en breton) portant le nom de collaborateurs des nazis comme Roparz Hemon en sont la marque. Quant à l'UDB (Union démocratique bretonne), née en 1964, elle pratiqua l'alliance avec les partis de gauche, ce qui lui permit d'obtenir quelques élus. Mais elle n'obtint jamais de scores élevés aux élections. Parallèlement l'activisme clandestin reprit à partir de 1966 avec le FLB-ARB (1) (Front de Libération de la Bretagne-Armée révolutionnaire bretonne). A un moment de notre histoire dans lequel resurgit, tel un « revival », un sentiment identitaire fortement ethnicisé, il n'est pas inutile de se replonger dans certaines aventures régionalistes criminelles fortement arrimées à la machine de guerre nazie (2).

Jean-Paul Salles

(1) Sur cette organisation, voir  Henry Léonel, Annick Lagadec, FLB-ARB, l'histoire 1966-2005 , Fouesnant, Ed. Yoran Embanner, 2006

(2) Pour de plus amples développements, soit sur le passé du nationalisme breton, soit sur ses répercussions actuelles dans l'espace public, voir le site de l'Observatoire sur les communautarismes et sur la laïcité http://www.communautarisme.net avec un article sur la création du drapeau breton « Gwen-ha-du » par le groupe Breiz Atao en 1923, ainsi que le site de la Libre Pensée.

 

Johann CHAPOUTOT, Le national-socialisme et l'Antiquité , Paris, PUF, 2008, 532 p., 28 €. mars 2009*

Mots-clés : Nazisme, Idéologie réactionnaire, Allemagne, Histoire de l'art

Dans l'Allemagne nazie, on rencontre l'Antiquité partout : dans les nus néo-grecs des sculpteurs Brecker et Thorac, dans l'architecture néo-dorique de Troost, dans les édifices néo-romains de Speer, dans les étendards du Parti et de la SS. Et la Maison dite de l'art allemand, inaugurée en 1937, a été surnommée par les Munichois la « gare d'Athènes », du fait de son imposante colonnade ! Les Jeux olympiques de Berlin (1936) ont été l'occasion de célébrer la parenté entre Grèce antique et Allemagne contemporaine. L'idée d'une course de relais de la flamme est due aux organisateurs des jeux de Berlin qui voulaient en faire une métaphore du lien entre Antiquité et Modernité, hellénité et germanité. Goering reçut les délégations au pied de l'autel de Pergame à Berlin, entouré de jeunes filles en drapé à l'antique et de garçons grimés en archers. Dans Olympia (1938), Leni Riefenstahl filme la statue du discobole de Myron qui soudain s'anime par le mouvement de lancer de poids de l'athlète vivant : « la pierre grecque s'anime et devient chair allemande dans un fondu-enchaîné qui célèbre la continuité nordique » (J.C.).

Mais pourquoi cette référence permanente à l'Antique ? La référence germanique serait-elle insuffisante ? Certains, dans l'Allemagne nazie, comme Himmler et les SS, avaient tendance à exalter les anciens Germains, encourageant les travaux des préhistoriens et les fouilles en Allemagne même. Déçu par la modestie des découvertes archéologiques, Hitler a voulu prouver que le sang germanique nordique n'a pas eu pour seule production un amas de poteries ou de cabanes de bois, mais qu'il a abouti, sous des cieux plus cléments, à l'édification du Parthénon ou du Colisée. Rosenberg et Hitler parlent des Grecs comme d'un « peuple nordique ». Les Doriens de Sparte, de même que les habitants originels de l'Italie, seraient venus du Nord. L'Allemagne est forcément grande puisqu'elle a donné naissance à des civilisations prestigieuses, et de plus l'expansionnisme des allemands du XXe siècle est justifié ! Les nazis opposent l'adage « ex septentrione lux » à la formule traditionnelle « ex oriente lux ». Le NSDAP développe une vulgate nordiciste : le noyau de la race nordique se situe dans le Jutland, entre mer du Nord et Baltique. De là diverses branches se sont étendues vers le Sud, Grèce, Rome et même Inde, où elles ont donné naissance à de puissantes civilisations. Du Nord vient la force créatrice ; par vagues migratoires régulières, elle régénère la culture nordique menacée. L'histoire est donc relue, réinventée, réécrite. Le plus étonnant : l'Université allemande suit, sans trop de réticences. Servitude volontaire ou trahison des clercs ? En tout cas, la puissante érudition allemande (romanistes, philologues, archéologues, historiens d'art) se met au service du régime. Les manuels de l'enseignement secondaire, scrutés par l'auteur, vulgarisent la thèse indogermanique. Les enseignants vont contribuer à la formation d'un homme nouveau, adossé au modèle antique, l'idéal étant le spartiate, citoyen en armes, soldat politique voué corps et âme à la patrie. L'humanisme classique est réinterprété en faveur du « politischer mensch », cet homme qui ne tire son sens que de son inscription dans la polis. Ainsi, nous dit l'auteur, « les nazis polissent la rudesse de leurs mots d'ordre par la patine des siècles et dotent leurs idées d'une ascendance reculée et prestigieuse » (p.135). Et ce faisant ils comblent d'aise les élites cultivées, entichées d'hellénisme depuis le XVIIIe siècle (cf. Winckelmann, 1717-68, auteur d'une célèbre Histoire de l'Art de l'Antiquité , 1764, qui met l'Antiquité à la mode en Europe, dès la fin du XVIIIe siècle, pensons au « Serment des Horaces » de David). Berlin se couvre d'édifices néo-classiques au XIXe siècle ( la Porte de Brandebourg, imitant les Propylées d'Athènes, étant la plus connue de ces réalisations).

Dans le Reich allemand, l'art de la guerre s'apprend dans les manuels d'histoire romaine. La Wehrmacht met ses pas dans ceux des légions. La violence des unités SS à l'Est n'est pas sans rappeler l'impitoyable « delenda » des légions de Scipion l'Africain dans sa lutte à mort contre Carthage. Et la rectitude des autoroutes du Reich ont une troublante similitude avec les voies romaines, vecteurs toutes deux d'un projet de conquête militaire. L'Europe sous domination nazie est présentée comme la relève de l'Empire romain, luttant comme lui contre les barbares, les sous-races, la sous-humanité. Et au moment de l'effondrement du Reich, la propagande fait appel à Léonidas pour encourager au combat et pousser au suicide généralisé le peuple allemand. Un escadron de pilotes voué à des opérations suicides portera le nom de ce héros spartiate qui, avec ses 300 hommes, arrêta momentanément les Perses aux Thermopyles !

Ce ne sont là que quelques remarques ne rendant compte que partiellement de la richesse d'un livre, manifestement repris d'une thèse de doctorat, écrit en une langue limpide, doté d'une forte bibliographie et de quelques documents iconographiques. Peut-être malgré tout l'auteur, grand érudit, surestime-t-il ses lecteurs quand il ne prend pas la peine de traduire toutes ses citations en allemand et en latin ! Péché véniel qui ne doit pas dissuader de lire ce livre.

Salles Jean-Paul

 

Jean-René CHAUVIN, Un trotskiste dans l'enfer nazi. Mauthausen-Auschwitz-Buchenwald (1943-1945) , Paris, Syllepse, 2006, 248 p., préface de Michel Lequenne, index, 20 euros. novembre 2006*

Jean-René Chauvin fait partie de ces militants devenus trotskistes avant la Seconde Guerre mondiale, désormais fort peu nombreux. Son témoignage peut sembler tardif, mais il bénéficie ainsi d'un recul favorable à la réflexion, et d'une mémoire restée particulièrement vive. Son livre est en réalité triple : outre le récit de son propre vécu, de nombreux témoignages sur les camps de concentration et d'extermination sont convoqués, et Jean-René Chauvin lui-même apporte des éléments de réflexion sur ce qu'il appelle « la lèpre du 20 e siècle », consubstantielle à notre modernité sociale et politique : les systèmes concentrationnaires nazi et stalinien (la variante maoïste n'étant qu'effleurée). De cette longue approche, au sein de laquelle quelques erreurs se sont glissées (1), nous retiendrons surtout les renseignements biographiques, l'auteur étant le fils, tardif, d'un député guesdiste, René Chauvin, élu à Puteaux en 1893 sous l'étiquette du POF (Parti ouvrier français dirigé par Jules Guesde), et démissionnaire de la SFIO en mars 1914. Cette origine familiale explique son militantisme dans les rangs de la SFIO - tendance Gauche révolutionnaire -, puis dès avant 1939, dans ceux du mouvement trotskyste : il est à l'origine du premier groupe trotskyste à Bordeaux. Fasciné par son père, un modèle de rigueur et d'honnêteté, il se dit décidé « à participer à ce qui lui apparaissait comme une grande épopée libératrice du monde ouvrier » (p.59). Et J.-R. Chauvin a tenu bon, continuant à militer jusqu'à aujourd'hui dans le mouvement trotskyste : il est actuellement militant de la LCR.

Une fois démobilisé en octobre 1941, trop connu à Bordeaux pour pouvoir y militer, il monte à Paris où il diffuse La Vérité, le journal du Parti ouvrier internationaliste (POI), dans le XIe arrondissement, puis il est chargé des liaisons Paris-province. Arrêté le 15 février 1943, par hasard, dans une rafle, il connaîtra la déportation et les camps pendant plus de 2 ans : il n'est de retour à Bordeaux que le 9 juin 1945. Chauvin fut un déporté « ordinaire » en ce sens que s'il fut arrêté pour ses activités antinazies, il ne participa pas à l'organisation de résistance interne au sein des camps qu'il a fréquentés. Pour autant, ce qu'il nous dit sur son séjour dans les camps est passionnant. Il est d'abord à Mauthausen, plus spécialement dans un de ses Komandos, à la frontière avec la Yougoslavie, où il participe au creusement d'un tunnel. Comme dans les camps soviétiques, les détenus sont réveillés d'un coup de marteau donné sur un rail ; le clairon aurait fait figure « d'objet culturel sophistiqué » dans cet univers! Il est ensuite mineur dans un camp de travail annexe d'Auschwitz-Birkenau. Jamais ce récit de vie n'est larmoyant, c'est ce qui rend sa lecture si roborative, l'auteur insistant toujours sur les moments d'humanité, par exemple cet acte de solidarité des Slovènes qui déposaient une boule de pain pour les forçats attachés au creusement du tunnel, ou ce porion nazi qui entame avec lui une conversation politique au fond de la mine de charbon et qui ensuite s'arrange pour qu'il obtienne la ration de pain réglementaire dont il était privé jusque là. Il rencontra même deux militants communistes parisiens qui ne furent pas choqués d'apprendre qu'il était trotskyste et qui lui évitèrent d'être rossé, ou pire, par des militants staliniens. Mais il ne dut qu'à sa jeunesse – il avait 24 ans – et à ses qualités de sportif - de pouvoir survivre, notamment à la terrible évacuation d'Auschwitz, à pied sur des dizaines de kms, sous la neige, le ventre creux, ou pire encore dans des wagons découverts, dans lesquels les détenus s'entretuent pour une boule de pain.

Le rapatriement est émouvant, quand dans un camion une jeune fille aux cheveux rasés vient se blottir contre lui. On ne retrouve cependant pas dans son témoignage la densité de celui de David Rousset dans Les jours de notre mort ou L'univers concentrationnaire . Pour le dire en d'autres termes, bien que tragique (il raconte même s'être battu -et peut-être avoir tué pour cela- avec des détenus hongrois pour de la nourriture), l'expérience de Chauvin ne se différencie guère de celle de plupart de ses camarades, à l'exception d'un passage où il mentionne des insultes « d'hitléro-trotskiste » de la part de détenus communistes. Passionnant aussi est le dernier chapitre consacré à la situation du mouvement trotskyste à la Libération, un mouvement que tous – en premier lieu bien sûr les staliniens du PCF – s'acharnent à empêcher de vivre, au grand étonnement de J.-R. Chauvin qui pensait à juste titre avoir payé assez cher le droit à la parole. Secrétaire à l'organisation du Parti communiste internationaliste (PCI, nouveau parti trotskyste unifié), il nous livre ainsi des chiffres très précis sur ses effectifs, en janvier 1948 : 626 adhérents et 12 permanents. Ce développement s'achève malheureusement de manière trop abrupte.

Deux thèmes intriguent particulièrement l'auteur : la difficulté qu'a eu la population française à comprendre la réalité concentrationnaire ainsi que la genèse de cette machine à broyer les individus. Pour expliquer cela, J.-R. Chauvin ne se contente pas de revenir sur les premiers camps de concentration créés par les Anglais en Afrique du sud à la fin du XIXème siècle, lors de la guerre des Boers, il remonte aux guerres que se sont livrées l'Espagne et les Etats-Unis pour le contrôle de Cuba et des Philippines. Ensuite, cette forme d'emprisonnement se répand sur l'ensemble de la planète. Les démocraties, même hors du cadre colonial, n'en sont pas exemptes. Il consacre ainsi un chapitre entier au cas du camp de Gurs, camp de plus de 20 000 personnes qui a servi à « accueillir » les réfugiés espagnols en France, puis les antifascistes allemands durant la guerre. De même sous Vichy des camps de concentration ont été créés pour les tsiganes. On trouve de manière générale de nombreux détails, mais n'est-ce pas là consacrer trop de temps à ce qui n'est après tout qu'à la marge du sujet, comparativement aux camps nazis ou staliniens ? D'autre part, si le propos est souvent pénétrant (on y retrouve des accents des analyses d'Enzo Traverso, La violence nazie. Une généalogie européenne , La Fabrique, 2002), on peut regretter que Chauvin ne mette pas suffisant l'accent sur ce qui constitue l'unicité du système nazi, le seul à avoir construit des usines de mort pour les juifs. La bibliographie utilisée ne tient quant à elle pas compte des ouvrages les plus récents, et on ne peut que rester sur notre faim quant à la genèse des camps soviétiques, Jean-René Chauvin parlant de stalinisme dès le début des années 20, mais sans véritables explications précises sur les responsabilités éventuelles des bolcheviques… Sa plume élégante sait en tout cas faire preuve d'humour (comme sur ses aventures au sein de l'institution militaire), et les pages se succèdent trop rapidement.

Jean-Guillaume Lanuque, Jean-Paul Salles et Georges Ubbiali

(1) Ainsi Maurice Baimont au lieu de Baumont, auteur du 18 e volume de la célèbre mais ancienne collection Peuples et civilisations, auquel l'auteur fait référence (p.130, note 36). Sur la même page : Campelle-Bannerman au lieu de Campbell-Bannermann, ministre anglais du parti Libéral (1836-1908), et p.235 Henri Beer au lieu de H. Berr, créateur de la célèbre collection « L'Evolution de l'Humanité » chez A.Michel.

 

Thierry DERBENT, La résistance communiste allemande, 1933-1945 , Bruxelles, Aden, 2008, 113 p. novembre 2008*

Cet ouvrage constitue un bon exemple de la manière dont un constat de départ justifié se transforme en un livre exécrable. L'analyse qui préside à l'écriture de ce livre est qu'il n'existe que peu de travaux (en français) sur le thème qui va occuper l'auteur. Précisons par ailleurs que ce constat se voit remis, partiellement, en cause au long de l'ouvrage. T. Derbent réintroduit au fil des pages un certain nombre d'auteurs ayant publié sur le sujet, tout en omettant certains, par ex. Gegenbach (Acratie 2006) ou Glaser (Agone, 2006) (lire les comptes rendus sur ce site). Mais de ce constat d'une place sous évaluée de la résistance communiste au nazisme (et d'une surévaluation corrélative des conjurés du 20 juillet 1944 ou de la Rose blanche), l'auteur en vient à conclure à une véritable loi du silence sur la composante communiste. Afin de rectifier cette injustice, il en vient à s'appuyer sur les travaux historiographiques de feu la RDA, d'où il tire d'ailleurs l'intégralité des illustrations du livre. Se basant sur ces ouvrages mémoriaux, effectivement inédits en français, il rééquilibre, selon lui, la place de la résistance communiste, sous ses différentes formes : résistance politique, participation à la lutte contre le franquisme en Espagne, espionnage et sabotage, comité Allemagne libre (sorte de front large antinazi diligenté depuis Moscou), résistance interne aux camps de concentration ou encore participation des communistes allemands aux mouvements de résistances nationaux dans les pays occupés. Le comité central de feu le SED de la RDA a accompli un travail très complet, dont un aperçu est fourni ici. Le lecteur est cependant en droit de s'interroger sur la pertinence et l'intérêt historique de bon nombre d'affirmations avancées tout au long de l'ouvrage. On en retiendra trois. La première est la reprise sans aucune critique de la théorie du social-fascisme, développée par l'Internationale communiste et qui a amené le KPD à considérer la social-démocratie (le SPD) comme une branche du fascisme. Que l'attitude (l'aveuglement, pourrait-on dire) du SPD, face au fascisme, soit un fait avéré, il n'en reste pas moins que rien ne saurait justifier la politique suicidaire de division conduite par le KPD (le lecteur attentif remarquera que pour justifier cette analyse, Derbent s'appuie sur les déclarations de Staline, ce qui n'est guère de bon aloi). Second point, très discutable, la place de l'espionnage dans la catégorie résistance. Il est pour le moins curieux d'intégrer dans la catégorie résistance communiste le développement de réseaux d'espionnage conduit par des allemands (effectivement militants du KPD), fonctionnaires de la GPU ou du NKVD. Enfin, on est en droit d'exprimer de sérieux doutes sur la place réelle des militants communistes au sein de la résistance des différents pays occupés. Loin de nous l'idée de nier qu'il y eut dans les maquis en particulier des déserteurs allemands qui ont participé à la lutte contre l'occupant nazi (en France, en Yougoslavie, en Grèce ou même en Russie), il n'en reste pas moins que l'orientation nationaliste (« A chacun son boche ! » proclamait le PCF) des groupes résistants n'était guère en accord avec une participation de masse des allemands. L'auteur peut ainsi souligner, comme un fait d'arme marquant que plusieurs militants du KPD ont déserté dans les jours précédant l'invasion de l'URSS (informations que le réseau Sorge avait d'ailleurs transmis depuis le Japon), il n'en reste pas moins que ces informations n'ont servi à strictement rien. Staline avait confiance dans son partenaire Hitler avec lequel il avait conclu un pacte. Mais ces questions-là, l'auteur ne se les pose pas. Au final, il en résulte un livre exaltant la ligne stalinienne et l'héroïsme (certes indéniable) des communistes allemands, sans la moindre interrogation sur la ligne politique défendue. Tout cela rappelle le pire d'une période à laquelle les peuples ont mis fin en octobre 1989.

G.U.

 

Michel DREYFUS, L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours , Paris, La Découverte , 2009, 348 pages, 23 euros. Février 2010*

Mots clefs : juifs – antisémitisme – socialisme – communisme – extrême gauche.

C'est une somme d'importance que Michel Dreyfus a élaboré sur un sujet hautement délicat et polémique, celui de l'existence d'un antisémitisme au sein du mouvement ouvrier. En introduction, outre le fait que ce travail est destiné entre autre à permettre à la gauche de « (…) rester vigilante contre un danger toujours possible » (p.18), il insiste justement sur la responsabilité moindre de la gauche comparativement à la droite ou à l'extrême droite dans la propagation de l'antisémitisme, mais son étude transversale démontre bien que la réalité est loin d'un simplisme tentant.

Après un rappel de la reconnaissance des juifs permise par la Révolution , Michel Dreyfus débute son tableau en 1830, à une époque où le développement industriel entraîne l'élaboration de l'image du juif profiteur, véritable symbole du capitalisme qu'incarne à merveille la famille Rotschild. Le caractère infondé de telles accusations est utilement démontré, mais l'on trouve cet antisémitisme chez des noms aussi célèbres que Pierre Leroux (l'inventeur du mot socialisme), Fourier, Toussenel (auteur du livre Les Juifs, rois de l'époque en 1845), Proudhon, ou Blanqui et ses disciples, avec une certaine postérité sur le socialisme le plus cocardier en particulier. Il y a là, selon Dreyfus, la marque d'un mouvement ouvrier qui se cherche, et se révèle perméable à une tendance du temps.

A la fin du siècle, d'ailleurs, parallèlement aux soubresauts économiques, aux divers scandales émaillant la vie politique et au rôle accru de la presse, l'état d'esprit antisémite se généralise et concerne ponctuellement un grand nombre de personnalités de gauche, de Zola à Elisée Reclus en passant par Vallès. A côté d'antisémites affirmés comme Benoît Hamon ou Albert Regnard (1), influencés par Drumont et misant sur le caractère anticapitaliste de son antisémitisme, on remarque l'imperméabilité des syndicalistes à l'antisémitisme. Avec l'Affaire Dreyfus, on assiste à la marginalisation progressive de l'antisémitisme au sein du mouvement ouvrier, à compter surtout de 1898, en même temps qu'il découvre pleinement le prolétariat juif. Une relance plus mesurée des thèmes antisémites est à noter dans l'extrême gauche à compter de 1906, alors que la réhabilitation de Dreyfus jette un soupçon sur les éventuelles pressions du milieu juif. L'incarnent Robert Louzon ou Georges Sorel, quelques individualités donc, la seule manifestation publique d'importance étant essentiellement la polémique autour du supposé financement juif de L'Humanité .

Après la Grande Guerre , Michel Dreyfus constate de très rares résurgences ponctuelles de l'antisémitisme, chez les communistes vis-à-vis de Blum, par exemple, non sans une certaine ambivalence. Avec les années 1930, par contre, un certain pacifisme antisémite se développe dans la SFIO , chez les néo socialistes, les syndicalistes révolutionnaires de La Révolution prolétarienne , voire les anarchistes, avec l'image du juif fauteur de guerre ; le révisionnisme de Rassinier trouverait là une de ses racines, et même le négationnisme ultra gauche, à travers les analyses d'un Louzon, qui diagnostique l'antisémitisme d'alors comme une quasi nécessité historique (les juifs incarnant le capitalisme libéral traditionnel face au capitalisme corporatiste moderne). Après la guerre, l'antisémitisme est résiduel à gauche, en raison de la prégnance de l'antifascisme (2). Un chapitre entier est toutefois consacré à Rassinier et au négationnisme, l'occasion de rappeler les liens maintenus relativement longtemps entre l'auteur du Mensonge d'Ulysse et les anarchistes, La Révolution prolétarienne (toujours le cas Louzon) ou les objecteurs de conscience. On notera à cet égard la prégnance extrêmement faible des trotskystes à l'antisémitisme, sur laquelle une analyse de fond mériterait d'être menée (3).

Le dernier chapitre s'intéresse aux positions de la gauche française face à l'Etat d'Israël, mais donne l'impression d'être moins approfondi (4). Michel Dreyfus finit par la séquence actuelle, en relativisant à juste titre le regain d'antisémitisme des années 2000 et en critiquant les excès de plume d'un Taguieff ou d'un Finkielkraut. La conclusion l'amène à parler davantage d'un antisémitisme à gauche plutôt que d'un antisémitisme proprement de gauche. Reste que cette question de l'antisémitisme, principalement de nature économique ici (le juif riche, voire doté d'un pouvoir occulte), demeure souvent problématique à identifier, en particulier du fait de la possible critique de la religion juive (un antijudaïsme au sens strict) par des anticléricaux, qui ne vise aucunement le peuple juif en tant que tel (5) … Une étude d'importance, où le souci de contextualisation est permanent, et les rares erreurs vénielles (6).

Jean-Guillaume Lanuque

(1) « On ne devient pas usurier sous le poids des événements ; on naît tel ! Et, c'est précisément le cas de la race juive », p.61.

(2) La thèse de l'auteur selon laquelle quand l'antifascisme est fort, l'antisémitisme est faible, et vice-versa, mériterait sans doute d'être discutée en profondeur.

(3) Certes on peut penser, comme l'auteur, que la présence de la Vieille taupe à la fête de LO, au début des années 1980 est liée à la non implication de cette organisation trotskyste dans la Résistance et à sa critique de l'antifascisme, accusé de désarmer le prolétariat en le mettant à la remorque de sa bourgeoisie. Mais ne peut-on pas penser qu'il résulte plutôt du souci de LO d'offrir, dans le cadre de sa fête, un forum à tous les groupes de l'extrême gauche – on y vit même le Sentier lumineux -, un souci de démocratie d'ailleurs pas toujours respecté dans la vie quotidienne de l'organisation ?

(4) Absolument rien n'est dit, par exemple, sur les analyses trotskystes antérieures à 1967, alors que la IVe Internationale avait clairement pris position au moment de la création de l'Etat hébreu, loin de toute « indifférence » (p.283). Voir entre autre les Cahiers du CERMTRI n°63, « Documents sur la question juive et palestinienne », ou n°132 «  La Palestine – 1947 ».

(5) La question se pose déjà pour un d'Holbach, par exemple.

(6) Socialisme ou Barbarie créé en 1947 au lieu de 1949, par exemple, ou l'article « Auschwitz ou le grand alibi » attribué sans discussion à Bordiga.

 

Marek EDELMAN, La vie malgré le ghetto , Paris, Liliana Levi, 2010, 170 p., 16 €. Août 2010*

Mots clés : Résistance, juif, extermination, lutte armée, clandestinité, ghetto, Varsovie, Bund

Marek Edelman, mort en octobre 2009, était un des dirigeants survivants du ghetto de Varsovie (voir ses Mémoires du ghetto de Varsovie , Levi, 2002). Juif non-sioniste (et même très critique à l'égard du sionisme), il a demeuré en Pologne après la guerre. Il y avait fait sa carrière de médecin et était devenu un des fondateurs du syndicat Solidarnosc. Ce lutteur de toute une vie, offre dans ce court ouvrage des éléments de sa mémoire recueillis quelques mois avant sa mort. Comme il le dit, « Derrière moi, il y a le néant ». C'est précisément pour empêcher la victoire du néant dû à la destruction systématique des juifs d'Europe qu'il livre ce témoignage. En de courts chapitres, il évoque la vie dans le ghetto. Il revient, dans un texte d'une haute densité, sur sa participation au soulèvement de Varsovie, soulèvement rappelons le, qui fut organisé par la résistance intérieure polonaise, avec le soutien de quelques rescapés du ghetto. Ce soulèvement fut écrasé par les nazis alors que les troupes soviétiques se trouvaient à quelques kilomètres, trop heureuses de voir la résistance nationaliste polonaise exterminée. Mais plus que le combat, ce que veut raconter Edelman, c'est comment la vie, la pulsion de vie, se poursuivait dans cette population hâve et affamée de juifs enfermés dans un espace de quelques kilomètres carrés. Effectivement, un des textes les plus symptomatiques porte sur l'amour dans le ghetto. Amour compulsif parfois, mortifère souvent, mais amour qui emporte les cœurs des habitants du ghetto. Un souffle d'espoir extraordinaire, d'humanité pure jaillit de ces lignes. Lignes d'autant plus bouleversantes qu' Edelman propose en une trentaine de pages une énumération des noms et des caractéristiques des personnes qu'il a croisées durant ces mois d'enfermement. Une litanie de noms, inconnus pour la plupart, qui lui permet de faire jaillir de sa mémoire, pour l'éternité, des vies que les nazis avaient voulu éradiquer. Parmi ceux à qui il consacre un court chapitre se trouve Bernard Goldsztajn, dirigeant du Bund à l'extérieur du ghetto au moment du soulèvement et qui a survécu. On lira sur ce site le compte rendu de l'extraordinaire témoignage que ce dernier a laissé de son activité, récemment republié par les éditions Zones (Goldstein, L'ultime combat. Nos années au ghetto de Varsove, 2008). Marqué par le tragique et écrasant destin des rares survivants, Edelman exprime avec force le sentiment de faire partie d'une génération perdue. Cependant, il n'en oublie pas moins d'appeler à la lutte et à poursuivre partout et toujours le combat pour la préservation de la dignité. « Nous devons combattre le mal de manière à ce que celui qui s'y livre sache que pour lui, il n'y aura pas de pitié », avance-t-il dans un discours prononcé en 2005, qui ouvre le livre. Ce n'est donc pas sans une immense émotion que l'on referme ce livre, non comme un catafalque sur un monde disparu, mais comme l'évocation d'une lutte à poursuivre, même si le lecteur ne peut que se sentir un nain face au géant que fut Edelman.

Georges Ubbiali

 

Fabienne FEDERINI, Ecrire ou combattre. Des intellectuels prennent les armes (1942-1944), Paris, La Découverte, 2006. mai 2006*

Issu d’une thèse, l’ouvrage de Fabienne Federini prend place dans la collection « Laboratoire des sciences sociales » dirigé par Bernard Lahire aux éditions La Découverte. Il participe de l’essor de la socio-histoire, travaillant le champ de l’entre-deux-guerres et de la Résistance comme naguère Gérard Noiriel, Gisèle Sapiro (1). Son questionnement porte sur l’engagement intellectuel, dont il s’agirait de rendre sociologiquement compte à partir des biographies croisées de Jean Cavaillès et Jean Gosset. Philosophes, tous deux participèrent à la première résistance armée, s’engageant physiquement, trouvant la mort et une position marginale au panthéon des figures de l’engagement intellectuel. L’ambition de F. Federini est triple : elle interroge l’histoire de la Résistance comme celle des intellectuels, questionne enfin la pertinence de la notion de champ pour se saisir de ces objets.
Du point de vue d’une histoire de la Résistance, la précision par le registre biographique de ces engagements singuliers restitue à la première résistance une part de ses conditions de possibilité. Sans nier l’individualité du choix résistant, l’auteure revenant sur la socialisation politique des deux hommes (milieu familial protestant pour Cavaillès, laïc pour Gosset / Ecole Normale Supérieure), rend compte des prémisses de cet engagement résistant. La démonstration s’achève sur l’hypothèse d’une génération résistante (celle de la première heure), marquée par l’importance des liens d’amitiés et les sociabilités normaliennes. Marquée également par le sentiment d’un déracinement (familial, politique, intellectuel), cette génération est en sorte en porte à faux social. Ici se devine l’une des dispositions à la dissidence dès 1940 : « ainsi ce n’est pas la Résistance qui crée la rupture sociale, mais ce sont des acteurs déjà eux-mêmes soit en rupture avec leur milieu familial soit en marge de leur groupe social d’origine qui créent la Résistance. En cela, leur position marginale, « isolée », de résistant n’est jamais que l’expression politique de ce rapport social au monde (p 252). » Si la démonstration convainc, notamment par l’effet de seuil produit par le dernier chapitre (une génération de résistants) où des trajectoires singulières se comprennent dans l’épaisseur d’un réseau en étoile, on peut cependant regretter des références bibliographiques souvent restreintes, pour se saisir du contexte vichyssois, à l’ouvrage de Robert Paxton, certes pionnier, mais depuis précisé par de nombreux travaux qui pouvaient éclairer telle ou telle dimension. En parallèle à cette appréhension de la première résistance, la démarche et les instruments choisis portent toute une série de critiques à l’histoire des intellectuels telle qu’elle s’est définie en France depuis une vingtaine d’année (2). La cote paraît bien taillée tant les trajectoires de Cavaillès et Gosset, physiquement engagé, proposent une autre lecture des schémas sartrien et dreyfusard. Reprenant l’analyse de lieux emblématiques de l’histoire des intellectuels (ENS), la démonstration révèle d’autres possibles et d’autres dispositions à l’engagement que le seul rapport au champ éditorial pour la guerre. En somme, publier ou se taire ne serait pas la seule alternative des intellectuels, à moins de lier cette catégorie à la définition dreyfusarde et métahistorique. L’analyse en contexte sert ainsi la déconstruction de cette histoire linéaire qu’est l’histoire des intellectuels. Elle invite d’autant plus à une relecture des années Trente à cette aune que les comparaisons tentées par Fabienne Federini, notamment avec la trajectoire de Georges Lefranc –normalien et condisciple de Cavaillès-, se lisent souvent comme les prémices d’une argumentation plus ample, mais implicite.
La Résistance, l’histoire des intellectuels dans un moment singulier : tel quel, l’ouvrage s’annonce copieux. Il se double d’une réflexion « sur la capacité heuristique de la sociologie à rendre compte de l’action résistante de Jean Cavaillès et de Jean Gosset (p 267) ». Ici l’auteur travaille à l’aide notamment de Bernard Lahire, parfois de Luc Boltanski (3), avec et contre Bourdieu. Central dans l’interrogation, la notion de champ se discute par l’appel à celle d’ubiquité sociale. En effet, Cavaillès et Gosset évoluent quotidiennement dans des univers distincts (la résistance, le renseignement, la profession, la famille), cloisonnés par la nécessité de l’action. Prendre en compte cette pluralité des modes d’être enrichit ainsi la connaissance de cette première résistance. De courtes notations soulignent ainsi la contradiction nécessaire des témoignages, puisqu’à chaque univers correspond un rôle ; elles esquissent aussi les effets physiques et mentaux du passage à l’action armée. L’appareil théorique, parfois redondant de chapitre en chapitre, alourdit alors une lecture qu’après-coup, la conclusion rend convaincante.

Vincent Chambarlhac

(1) Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, Paris, Hachette, 1999. Et Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains (1940-1953), Paris, Fayard, 1999.
(2) Pascal Ory, Jean-François Sirinelli, Les intellectuels en France de l’Affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Armand Colin, 1986.
(3) Bernard Lahire, L’homme pluriel, les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998. Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.

 

Stéphane FRANCOIS, Le nazisme revisité. L'occultisme contre l'histoire , Paris, Berg international éditeurs, 2008, 128 pages, 18 €. novembre 2008*

Avec ce petit ouvrage de synthèse, Stéphane François s'efforce d'étudier la vision « occultiste » du nazisme, telle qu'elle a été en particulier popularisée dans l'ouvrage de Bergier et Pauwels, Le matin des magiciens (paru en 1960), en une véritable « tentative d'archéologie et de déconstruction » (pp.11-12). Bien que son plan ne soit pas toujours d'une clarté évidente, son propos est d'une richesse confondante, et il parvient à dissiper de manière convaincante les affabulations sur les origines soi disant occultes du mouvement national-socialiste (à travers des sociétés secrètes) – Hitler en particulier rejetant ce milieu –, tout en insistant sur l'intérêt d'un Himmler ou d'un Hess pour l'occultisme. De même, il fait fi des nazis adeptes d'un néo paganisme, dont les membres furent d'ailleurs souvent inquiétés par les nazis au pouvoir, sans insister peut-être suffisamment sur l'opportunité qu'il y a pour les Eglises chrétiennes de faire oublier leur complicité partielle avec le pouvoir hitlérien. Ce faisant, il montre bien la différence avec les néo nazis, souvent partisans de ce néo paganisme. Le nazisme vu comme « religion séculière » semble d'ailleurs constituer aux yeux de l'auteur un terreau pour la mutation ultérieure vers l'occultisme nazi, dont un large échantillon des multiples théories, plus fantasques les unes que les autres, nous est proposé ici. Le versant le plus populaire de celles-ci s'exprime à travers une collection de livres comme celle de « l'aventure mystérieuse » chez J'Ai Lu. L'occultisme nazi fut ainsi à la fois un moyen pour les sociétés occidentales de tenter d'assimiler par ce biais le caractère incompréhensible du phénomène nazi tout autant qu'une façon, pour une extrême droite majoritairement discréditée, de réactiver cette idéologie sous un jour moins tragique. Il n'en reste pas moins que ce travail, aussi abondant puisse-t-il paraître au non initié, se présente surtout comme une vaste compilation bibliographique. Les thèses que l'on peut discuter sont en tout cas relativement minoritaires, ainsi de celle qui postule un essor éditorial des publications occultistes en lien avec le supposé déclin des idées de révolution dans les années 70, alors que la revue Planète a connu son essor dans la décennie précédente (sans parler du roman de Robert Merle, La mort est mon métier , vu comme « provocateur », p.70 ! (1)).

Jean-Guillaume Lanuque

(1) On pourrait citer quelques autres affirmations pour le moins péremptoires, ainsi de l'héroïc fantasy vue comme « littérature mineure » page 97, sans la moindre once de justification…

 

Eric FOURNIER, La Cité du sang. Les bouchers de La Villette contre Dreyfus , Paris, Libertalia, 2008, 147 pages, 13 €. septembre 2008*

Le sous-titre précise l'enjeu historique et géographique du propos : la Cité du Sang est La Villette, ses bouchers fournirent une part des troupes nationalistes et antisémites lors de l'Affaire Dreyfus. Eric Fournier, qui vient de publier chez Imago Paris en ruines explore là une part de l'imaginaire nationaliste. Son propos fait mouche. Il montre comment la corporation des bouchers fascine l'extrême droite qui y lit une survivance de l'ancienne France aux portes de Paris, qui y voit un modèle à opposer au socialisme, au syndicalisme. Le sang et la force supposée des tueurs (les bouchers) s'inscrivent aisément dans les thématiques de la régénérescence nationale; les bouchers incarnent une part du mythe vitaliste de l'extrême droite, participant à leur manière, sous la houlette de Morès, puis de son lieutenant Guérin et de la Ligue antisémitique Française, au roman de l'énergie nationale. L'auteur situe là son propos dans la suite des travaux déjà anciens de Zeev Sternhell ( La droite révolutionnaire, Maurice Barrès et le nationalisme français ) auxquels il imprime une double inflexion. En effet, il porte son attention sur la rue -et les luttes pour la maîtrise de son espace- plus que sur les textes et les idées. Son travail participe davantage d'une anthropologie politique, nourrie d'un entretien avec Pierre Haddad*, que de l'histoire des idées propres à la démarche de Zeev Sternhell. Ce monde du sang qu'est La Villette paraît l'objet idoine de cette investigation qui mèle l'histoire sociale et culturelle au politique, montrant comment l'antisémitisme constitue un moteur politique de premier plan. A suivre Eric Fournier s'écartant à nouveau des conclusions de Zeev Sternhell, les bouchers enrôlé par Morès, Guérin, procèdent moins des racines du fascisme, mais davantage d'une persistance à l'extrême droite d'us et coutumes d'ancien régime, rétifs aux bouleversements de l'industrialisation. Les bouchers n'annoncent pas les chemises noires, leurs blouses bleues et leurs gros bras construisent certes une réputation flatteuse au sein de l'extrême droite et dans l'opinion publique, mais finalement usurpée : la rue reste aux mains des étudiants (cf. les souvenirs sur l'Affaire de Charles Péguy), des libertaires menés par Sébastien Faure. L'imaginaire révolutionnaire porté en partie par les bouchers s'effondre avec Fort Chabrol, en comédie.

Précisément, ici la démonstration laisse le lecteur sur sa faim. Dans son introduction subtilement militante, Eric Fournier revendique l'appel au rire pour se saisir pleinement du contexte de l'époque : le rire est aussi une arme politique dans l'occupation de la rue. On devine dans cette proposition l'horizon anthropologique de la recherche. Si celui-ci est atteint dans l'analyse des représentations de La Villette, la question du rire, régulièrement rappelé est absente. Il manque au texte des citations de L'Aurore , du Journal du Peuple –soit la verve d'Emile Pouget, par exemple-, il manque des caricatures (mais c'est là sans doute l'effet même des coûts d'édition et de reproduction). Il manque, finalement, un chapitre où le rire qu'oppose les dreyfusards aux antisémites se saisirait à partir des recherches en histoire culturelle sur la Belle époque, dans l'éclat des crieurs de journaux, et des camelots analysé par Jean-Yves Molier. Reste qu'à la lecture, Eric Fournier, s'il ne convainc pas systématiquement, emporte largement l'adhésion pour qui s'intéresse à une histoire politique renouvelée de la Belle époque. Histoire dans laquelle les idées politiques ne sauraient suffire, histoire plus attentive à la rue et dans laquelle surgissent des figures en marges des travaux classiques sur cette question. Le propos militant d'Eric Fournier attire l'attention sur Sébastien Faure et ses compagnons, montrant par là que l'anarchisme ne se réduit pas à la propagande par le fait; rappelons aussi le rôle joué contre le nationalisme par les étudiants autour de la Librairie de Charles Péguy, par les mouvements de jeunesses proches du socialisme français, alors divisé.

Vincent Chambarlhac

(1) Auteur d'une thèse pionnière sur la question, Les chevillards de La Villette, naissance, vie et mort d'une corporation , Pierre Haddad est le descendant de chevillards juifs qui firent le coup de poing et les combats à cannes plombées contre les nationalistes.

 

Varian FRY, « Livrer sur demande ». Quand les artistes, les dissidents et les juifs fuyaient les nazis (Marseille, 1940-41), Marseille, Agone, 2008, 352 p., 23 €. novembre 2008*

On connaissait déjà la traduction des Mémoires de Varian Fry (1907-67), publiée en français en 1999 chez Plon, sous le titre « La liste noire ». La reprise par Agone de la traduction d'Edith Ochs sous le titre de l'édition originale en anglais (1945) : « Surrender on demand » (« Livrer sur demande…tous les ressortissants désignés au gouvernement de Vichy par celui du Reich » selon l'article 19 de la Convention d'armistice) est néanmoins une excellente initiative. D'autant que le texte de Fry est accompagné de biographies et d'un glossaire des plus utiles, d'un album photo, de plusieurs articles de Fry, qui était journaliste, et d'une excellente et longue préface de Charles Jacquier. Venant après une exposition réalisée à Paris (Halle Saint-Pierre) en 2007, cet ouvrage permet de mieux connaître ce jeune américain d'idées libérales, ancien d'Harvard, qui ayant assisté à un pogrom à Berlin alerte sur la dangerosité des nazis dans un article du New York Times, le 17 juillet 1935.

Il rejoint en cela les préoccupations de syndicalistes américains de la confection à l'origine du Jewish Labor Committee (février 1934) et participe avec eux à la création de l'AFGF (American Friends of German Freedom), soutenue pas des pasteurs, des intellectuels (parmi lesquels John Dewey qui aidera Léon Trotsky à tenter de mettre en pièces les Procès de Moscou). Ces divers groupes mettent sur pied l'Emergency Rescue Committee qui envoie Fry à Marseille, où il arrive le 13 août 1940, muni d'une liste de 200 noms d'artistes, d'écrivains, d'universitaires à sauver, pour lesquels ses amis s'efforçaient d'obtenir des visas d'entrée sur le territoire américain. Parallèlement des institutions comme le Moma (Museum of Modern Art de New York) ou la New School for Social Research, de New York aussi, financée par la Rockfeller Foundation, offraient bourses et postes d'enseignement. Fry remplit largement sa mission, permettant à Max Ernst, Marc Chagall, au sculpteur Jacques Lipchitz, à Siegfried Kracauer, à l'historien d'art et poète Hans Sahl, au mathématicien Jacques Hadamard (« l'Einstein français »), mais aussi à André et Jacqueline Breton, André Masson, Benjamin Péret, Marcel Duchamp, Jean Malaquais et à bien d'autres de se sauver des griffes d'un régime vichyste de plus en plus aligné sur Berlin. Mais il sauvera aussi, grâce au Centre Américain de Secours qu'il crée dès son arrivée – il tient ses premières permanences dans sa chambre d'hôtel – de nombreux socialistes de gauche, des membres de l'extrême gauche antistalinienne, dont le plus célèbre est Victor Serge ( et son fils Vlady). Indigné par le Pacte germano-soviétique et considérant que les Communistes étaient assez forts pour s'occuper de leurs camarades, il ne se préoccupa pas d'eux.

Pour ce faire, il sut déployer des trésors d'ingéniosité et faire preuve de courage (il eut à subir perquisitions et arrestations de la part des autorités françaises) et il dut se battre aussi contre l'ambassade américaine à Vichy et contre les fonctionnaires du Département d'Etat, très antisémites et qui craignaient l'arrivée de subversifs aux Etats-Unis. Cette entreprise le mit en contact avec d'autres, comme par exemple la coopérative du Croque-Fruit créée à Marseille par le sympathisant trotskyste Sylvain Itkine, installée à la villa Air-Bel, et qui apportait un secours matériel et un réconfort moral à des réfugiés parfois totalement démunis (Charles Jacquier renvoie à l'excellent article de Céline Malaisé paru dans notre revue Dissidences n° 12-13, oct.2002-janv. 2003, « Trotskistes-épiciers au cœur des années noires : l'expérience du Croque-fruit »). V. Fry travailla aussi avec des militants anarchistes espagnols (CNT) réfugiés à Toulouse, pour faire passer ses protégés par l'Espagne d'où ils rejoignaient Lisbonne et le bateau pour les Etats-Unis. Il n'hésita pas non plus à recourir aux services, rémunérés, de truands marseillais. Son principal collaborateur, « Danny » Bénédite, un ancien de la Gauche Révolutionnaire de Marceau Pivert et du PSOP, continua à faire vivre l'institution après l'expulsion de Fry. En effet, son activisme l'ayant rendu suspect, il sera expulsé en août 1941 après 11 mois d'intense activité au cours desquels il sauva plus de 3.000 personnes. La reconnaissance viendra sur le tard, la République française lui décernant la Légion d'honneur en 1967, quelques mois avant sa mort, et l'Etat d'Israël le distinguant comme Juste parmi les Nations en 1994 pour le sauvetage des nombreux juifs qu'il réalisa. Mais il fut aussi, comme on l'a vu, pour reprendre les termes de Philippe Dagen le « Juste des Surréalistes » (in Le Monde , 1 er décembre 2007). Le plus bel hommage lui est rendu par Hans Sahl, cité par Ch. Jacquier : « Imaginez un peu : les frontières étaient fermées, on était pris au piège, à tout instant on pouvait faire l'objet d'une nouvelle arrestation, ta vie était finie et voilà que tout d'un coup tu as devant toi un jeune américain en bras de chemise qui te bourre les poches d'argent, passe son bras autour de toi et susurre avec l'air d'un conspirateur dont il joue mal le rôle « Oh ! il y a des moyens de vous sortir de là », et pendant ce temps voilà que les larmes coulent le long de tes joues ».

Salles Jean-Paul.

 

Wilhelm GEGENBACH, Face au fascisme allemand (1929-1933). Une vie contre le capitalisme (1 ee partie) , La Bussière, Acratie, 2006, 537 p. Mai 2007*

Avant d'entrer dans le contenu de l'ouvrage lui-même, on voudrait en quelques mots présenter ses conditions d'édition, telles qu'elles sont rapportées dans l'introduction. Exilé en France dès 1933, Wilhelm Gegenbach s'y installera après la seconde guerre mondiale (de ce point de vue, son parcours ressemble à celui de Georges K Glaser, l'auteur de Secret et violence. Chroniques des années rouges et brun (1920-1945) , Agone, 2005). Militant du PCF jusqu'en 1989, Gegenbach rentre en contact en 1997 avec des militants du groupe L'ouvrier , une scission de LO. C'est dans ce cadre qu'une première partie de ses volumineuses mémoires est publiée. Militant des Jeunesses communistes à la fin des années 20, Gegenbach est obligé de quitter sa région suite à des accrochages violents avec des SA. Après quelques mois de trimard, il est d'ailleurs chargé de rédiger un rapport pour le PC sur l'état d'esprit de ces bandes de chômeurs parcourant le pays (Daniel Guérin, dans La peste brune , décrit ces groupes de déclassés), il s'installe dans le district de Düsseldorf, propulsé instructeur politique des jeunesses. Il raconte par de menus détails l'activité politique, orientée sur la vente de la presse, le porte à porte et les inévitables affrontements avec les SA. Après l'arrivée de Hitler au pouvoir en janvier 1933, il poursuit son activité dans une illégalité renforcée : collages d'affiches, graffitages, quête de solidarité. Mais il est rapidement arrêté et envoyé en camp de concentration, le fameux camp de Börgemoor, camp dans lequel sera composé le Chant des marais (texte qu'il fait d'ailleurs sortir du camp). Libéré faute d'accusation sérieuse au bout de quelques mois, il reprend contact avec les structures clandestines du KPD. Mais, très rapidement, il est obligé de disparaître et de s'exiler en France. Le texte s'arrête à ce moment-là. Ecrit d'une manière très alerte, son récit ne propose pas réellement une analyse du phénomène fasciste. On ne compte pas les dialogues nombreux, abondants et variés, qui auraient mérités parfois d'être raccourcis. Mais à travers les descriptions des milieux qu'il fréquente, des discussions qu'il mène on perçoit mieux l'activité des militants communistes allemands à cette période. Apparaît ainsi clairement la coupure entre une base, composée essentiellement de chômeurs (ainsi que l'avait démontré dans son livre Ossip. K. Flechtheim) et une bureaucratie dirigeante orientée vers Moscou. Les débats sur le front unique à développer avec les socialistes sont ainsi plein de saveur et montrent aussi la profonde coupure de la gauche allemande. A cet effet révélatrice est l'arrivée de membres de la Reichsbanner (la formation de défense du SPD) dans le camp de concentration de Börgemoor. On découvre également des aspects méconnus de la vie sociale et politique allemande, ainsi cette réunion de la Libre pensée , animée par des militants communistes évoquée au fil d'un chapitre. De nombreuses autres notations parsèment son récit (par exemple la place et le rôle des cigarettes dans le camp ou, dans un autre registre, les discussions autour de Wilhelm Reich) qui rendent la lecture vivante. On regrettera cependant que les éditeurs n'aient pas pris la peine de mieux présenter certains personnages évoqués. Ainsi il faut attendre la page 433 pour savoir qui était le Zörgiebel évoqué à de nombreuses reprises, sans parler de certains qui échappent à toute présentation (Severing) ou encore des évocations de la vie allemande qui auraient demandé des précisions dont l' absence ne gêne en rien la compréhension du livre, mais qui auraient été bénéfiques.

G.U.

 

 

Georg K. GLASER, Secret et violence. Chronique des années rouge et brun (1920-1945) , Marseille, Agone, 2005. décembre 2006*

Avec ce récit, on dispose d'un document de première importance pour la compréhension de la République de Weimar, de la montée du nazisme ainsi que des années qui suivent. Ce témoignage a été publié une première fois en 1951, avant de tomber dans un oubli à peu près total. Il faut saluer l'excellent travail éditorial (comme toujours, devrait-on ajouter) fourni par l'équipe d'Agone, qui précise les aléas de la publication, même si on ne peut que regretter l'absence de la préface allemande de Michaël Rohrwasser dans ce volume. Qui était ce Georg Glaser ? Il revient à André Prudhommeaux de présenter ce personnage au destin hors du commun. Militant communiste exilé en France après 1933, il s'y marie, s'y installe, adopte la nationalité, combat sous l'uniforme français, passe des années comme prisonnier de guerre sans être découvert comme Allemand d'origine et poursuivra sa vie après guerre comme militant communiste et syndicaliste dans son pays d'adoption. Au-delà de ce parcours extraordinaire (nombre de ses camarades ont disparu dans les geôles nazies et c'est par hasard qu'il parviendra à échapper à ce sort), Glaser confère à son récit une expression littéraire totalement accomplie qui accentue le caractère dramatique de l'action. Il faudrait pouvoir citer de longs passages qui relèvent du dantesque. On se contentera de l'évocation d'une visite à la maîtresse d'un de ses camarades de beuverie, manière pour lui de dresser un portrait de la misère dans laquelle une partie du peuple vivait : «  Une porte était ouverte, et je vis sur un mur, dans une chambre sombre, trois mauvaises photographies, grandeur nature, de son père, de son mari défunt et de son fils unique (…) Je sentis que j'étais sur les lieux d'un crime. Je vis ses auteurs confiants, inhumainement sévères, encore sur le qui-vive, observer depuis le mur. L'âme de la fille, la femme et la mère avait été terriblement torturée. L'étonnement des vivants devant les morts me saisit devant ce fantôme furtif qui craignait la lumière – cela avait donc été autrefois un être plein de santé, une femme qui avait bu en chantant, qui avait crié de plaisir dans l'étreinte, dont le rire sonore avait retenti la nuit dans la rue, qui avait conçu et engendré un fils ! Gottwhol ne s'était certainement pas attendu à une telle déchéance de sa bien-aimée  » (p. 192). Grâce à son indéniable talent d'écrivain, Glaser fournit avec ce livre beaucoup plus qu'un nouveau témoignage, intéressant, sur une période cruciale de l'histoire. Il parvient pratiquement d'une manière physique à nous faire ressentir et partager les états de conscience qui sont les siens quant il doit participer à des distributions de tracts sous le contrôle de groupes armés de défense, quand il est convoqué par la police comme prisonnier pour vérifier sa (fausse) identité ou encore quand il parvient à échapper aux griffes de la Gestapo lors du référendum sur le rattachement de la Sarre. Plus qu'un témoignage de première importance, Glaser sait rendre les couleurs, les odeurs, les ambiances (souvent violemment exacerbées) de son expérience.

Georges Ubbiali

 

Charles GLASS, Les Américains à Paris. Vie et mort sous l'Occupation nazie , Paris, Editions Saint-Simon, 2010, 391 pages, 23 €. Juillet 2010*

Mots clés : Américains, Franco-Américains, France occupée, Collaboration.

Curieuse attitude que celle qui consiste pour un historien, ici un journaliste, à prendre fait et cause pour ses « héros »…et à écrire un panégyrique en leur honneur (1). Et pourtant c'est celle de l'auteur de ces pages. Hélas pour lui, il a choisi de bien piètres « héros », le franco-américain Charles Bedaux, un ingénieur conseil qui eut quelque réputation dans les années 30 pour avoir affiné l'Organisation scientifique du travail de Taylor ou encore Clara et Aldebert de Chambrun, leur fils René et son épouse Josée, qui n'était autre que la fille (unique) du sinistre Pierre Laval.

Son livre est essentiellement une tentative de réhabilitation de fieffés collaborateurs, qui fréquentaient le fameux Otto Abetz ou encore Arletty et son général allemand. Ceci amène l'auteur à écrire que « si Charles Bedaux transigea avec l'occupant, [c'est parce qu'] il s'appuyait sur le raisonnement qu'il fallait préserver l'industrie européenne en prévision du monde de l'après-guerre », alors que c'était un simple affairiste (l'auteur le dit d'ailleurs dans un de ses rares moments de lucidité, p.132)… ou encore de Clara Longworth de Chambrun : « Elle obéit à un gouvernement de Vichy qu'elle croyait légitime en attendant que le jour du débarquement délivre la France de son supplice » (p.9) alors qu'elle bénéficia de sa proximité du pouvoir pour éviter les duretés du temps. A plusieurs reprises, l'auteur s'indigne des attaques que la presse américaine lança contre ces personnes à partir de 1943, parlant de « désinformation » (p.257-8), de « leurs noms salis » (p.260). Et pourtant, écrit-il, ils maintenaient les deux principales institutions américaines en France, l'Hôpital américain de Neuilly et la Bibliothèque américaine de Paris, maintenue ouverte certes, rue de Téhéran, mais sans permettre aux Juifs – Statut du Juif oblige – d'y accéder. Tout juste si l'auteur ne nous demande pas de compatir au sort de Bedaux arrêté à la Libération (p.259 : « en détention sans inculpation depuis plus d'un an ») puis transféré aux Etats-Unis où on s'apprêtait à le juger pour trahison. Son suicide opportun, avoue l'auteur, ne permettra pas de dévoiler la collaboration du monde des affaires américain avec les nazis.

Pourquoi l'auteur n'a-t-il pas choisi de nous parler d'Américains autrement plus séduisants, Varian Fry ou Mary Jayne Gold (voir sur ce site le compte rendu de leurs mémoires) ? Il se contente de quelques annotations sur la fameuse libraire Sylvia Beach restée à Paris puis internée pendant plusieurs mois dans un camp après l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Allemagne nazie ou encore du Docteur Sumner Jackson de l'Hôpital américain de Neuilly, brefs éclats de lumière dans un monde bien sombre.

Plus grave, comme pour légitimer l'attitude de ses « héros », méconnaissant les études des spécialistes de la question comme Philippe Buton, l'auteur se croit obligé de démoniser les résistants, « bandes armées et tribunaux révolutionnaires qui exécutaient les collaborateurs » (p.334) ou pire, p.282 : « En France, les maquisards s'étaient rebaptisés patriotes […] En opération, ils s'attaquaient aux troupes allemandes, et mutilaient parfois les corps » ( sic ).

Bref ! Un écrit qui verse parfois dans le nauséabond ! Un auteur qui se place résolument aux côtés de la famille De Chambrun-Laval qui tente encore de nos jours, par le biais de la Fondation Josée et René de Chambrun, sise 6 bis Place du Palais Bourbon à Paris, d'entretenir la mémoire de Pierre Laval. Entre de multiples livres, René de Chambrun publiait en 1984 chez France-Empire : Et ce fut un crime judiciaire…Le procès Laval .

Salles Jean-Paul.

(1) Un indice de l'amateurisme de l'entreprise : dans la bibliographie, l'ouvrage pionnier de Robert Paxton, La France de Vichy (dont la première traduction française date de 1973 et non de 1976) est attribué à Paxton et Hoffmann, alors que ce dernier n'a écrit que la préface de 6 p. sur un total de 375 pages!

 

Mary Jayne GOLD, Marseille année 40, Paris, Editions Phébus, Collection Libretto, 2006, 473 p., 11,50 €. novembre 2008*

Mary Jayne était une fille de riche, indéniablement. Son père, natif de Chicago, avait fait fortune dans les chemins de fer. « Je hantais les cocktails, les soirées, les grands galas…je skiais tous les hivers, pilotais mon propre avion », écrit-elle. Mais c'était avant 1939-1940 et sa rencontre, à Marseille, avec le Centre de secours américain de Varian Fry. La guerre l'avait surprise en France, à Paris, où elle faisait son « Grand Tour », à la manière des aristocrates anglais du XVIIIe siècle, se donnant une formation en butinant de ville d'art en ville d'art. Mais contrairement à ses semblables, s'étant prise d'amour pour la France, à la déclaration de guerre elle reste dans le pays, participant à l'exode qui la conduit de Paris à Marseille. Ceci nous vaut des pages pittoresques, car elle continue de fréquenter les grands hôtels – avec son caniche -, les serveurs s'empressant autour d'elle et délaissant les officiers allemands « qui aboient des commandes dans le vide ».

Arrivée à Marseille, « la ville la plus bruyante de France transformée en une cité aux résonances feutrées du fait de la raréfaction de la circulation », elle ne tarde pas à rencontrer Varian Fry et se met à son service. Outre l'appui financier qu'elle lui prodigue, elle devient « interviewer », chargée d'interroger les réfugiés à la recherche d'aide, pour savoir qui aider en priorité et éliminer les éventuels nazis infiltrés. Son exploit le plus remarquable aura été, grâce à son charme et à son bagout, d'obtenir du directeur du camp du Vernet l'élargissement de quatre militants allemands socialistes de gauche (du groupe Neu Beginnen) avant qu'ils ne soient déportés par la Gestapo. Elle rencontre aussi les importants dirigeants sociaux-démocrates allemands Rudolph Breitscheid et Rudolph Hilferding qui, s'estimant intouchables par Vichy (du fait des charges importantes qu'ils avaient occupées dans le passé : Hilferding était un économiste réputé et Breitscheid l'ancien président du groupe social-démocrate au Reichstag) refusèrent de fuir clandestinement. Placés en résidence surveillée à Arles, ils seront finalement livrés à l'Allemagne. On retrouvera Hilferding pendu par la cravate dans une cellule de la prison de la Santé et, 3 ans et demi après son extradition, les Allemands annonceront que Breitscheid avait été tué lors d'un bombardement américain du camp de Buchenwald.

Néanmoins, malgré la dureté des temps, « nous prenions le temps de rire et de nous amuser », ceci avec son amie américaine Miriam Davenport. C'est ainsi qu'elle noue une relation amoureuse avec un jeune aventurier, qui se révéla être un authentique gangster, déserteur de la Légion Etrangère. Elles le surnommèrent « Killer », car il massacrait la langue anglaise…mais pas seulement ! Cela ne l'empêcha pas de continuer à aider Fry, dont l'action est de plus en plus importante et difficile, l'ambassadeur américain à Vichy voyant d'un mauvais œil l'activité de son compatriote. C'est elle qui loue la villa Air-Bel (le Château), vaste bâtisse de 18 pièces, qui accueille André Breton, son épouse et leur fille, Victor Serge et son fils Vladi. Elle évoque brièvement le Croque-Fruit, cette coopérative montée par Vladi et ses amis, qui fabriquera et commercialisera des friandises à base de dattes et de pâte d'amande (voir in Dissidences 1 ère série n°12-13, octobre 2002, l'excellent article de Céline Malaisé, p.77 et sq.), mais surtout elle raconte les soirées organisées par A. Breton, les jeux surréalistes. « Pour moi, écrit-elle, ces mois que je passai au Château ont compté parmi les plus importants de ma vie…Cette expérience a déclenché mon éveil intellectuel ». « Vivre sous le même toit que Breton était source de découverte perpétuelle ». Elle rend hommage aussi à Vladi qui lui donne des cours de marxisme ! Mais son ami Killer n'aime pas beaucoup ces intellectuels. Il lui reproche de les aider financièrement : « ces deux parties de ma vie, le Comité et Killer, allaient me tirer à hue et à dia ». La venue de Killer à Air-Bel mettant en danger les réfugiés, V. Fry lui demanda de quitter la villa à la mi-mai 41. V. Fry sera lui-même arrêté en août et expulsé, avec l'agrément des autorités américaines, le PCF qui l'accusait de trotskysme n'étant pas mécontent de cette issue. Mais pendant à peu près un an de présence à Marseille, Fry et ses amis auront aidé ou sauvé des centaines de réfugiés – 1.000 pense-t-on – que la victoire allemande de juin 40 avait placé dans une nasse. C'est dans cette France du Sud qu'elle affectionnait que Mary Jayne est morte, le 5 octobre 1997 à 88 ans, à Gassin – Côte d'Azur – dans sa villa baptisée Air-Bel.

Jean-Paul Salles.

 

Bernard GOLDSTEIN, L'ultime combat. Nos années au ghetto de Varsovie, Paris, 2008, éditions La découverte, Zones. 267 pages. 17 €. mars 2009*

Mots clés : Guerre, résistance, insurrection, bund.

Voici un document dur, poignant et douloureux. Il s'agit du témoignage de l'un des leaders polonais du Bund – le Mouvement de l'Union générale des ouvriers juifs de Lituanie, Pologne et Russie, créé à la fin du 19 ème siècle, et d'obédience socialiste. Le livre commence en septembre 1939, avec le début de la guerre et se termine à la fin de celle-ci, en 1945, quand l'auteur quitte clandestinement son pays. Dans ces pages, Bernard Goldstein raconte la vie quotidienne des juifs à Varsovie et le développement de la terreur nazie, qui semblait à plusieurs reprises avoir atteint son sommet, avant de le dépasser en horreur quelques temps plus tard. En lisant ces pages, résonne en nous le sombre avertissement de Walter Benjamin quand il écrivait, en 1928, dans le texte Panorama impérial du recueil Sens unique  : « En revanche, ceux qui espèrent encore, car « ça ne peut plus continuer ainsi », apprendront un jour qu'il n'y a, à la souffrance de l'individu comme des communautés, qu'une limite au-delà de laquelle on ne peut aller : l'anéantissement ».

Mais face à la terreur, il y a eu des résistances passives et actives qui se sont matérialisées de bien des manières – depuis la croix rouge bundiste jusqu'aux comités d'immeubles en passant par la contrebande – avant de culminer dans le soulèvement armé du ghetto de Varsovie au printemps 1943. à cette époque, les déportations, exécutions, promesses bafouées des nazis avaient largement mis fin à la « sorte d'autosuggestion provoquée par l'imminence du danger de mort », à cette « soif de vivre » qui faisait que la population juive s'accrochait « à toutes les illusions » (p. 117) et expliquent en revanche que « tous les habitants du ghetto participèrent à la bataille » (p. 182). Bataille perdue d'avance, mais dont l'enjeu était, puisqu'il n'y avait plus d'échappatoire, de mourir en combattant, de se venger des bourreaux et de réaffirmer, dans cet « ultime combat », leur humanité.

L'histoire du soulèvement du ghetto et de l'insurrection de Varsovie a beau être connue, ces pages en restitue leur densité quotidienne où se mêlent l'héroïsme sobre, le mépris des vies humaines, la faim et l'horreur. Aussi est-on frappé par ce que l'auteur appelle « l'empoisonnement » ; le « poison juif » dont « chaque Polonais absorbait chaque jour sa ration (…). Les tendances antisémites qui existaient déjà dans l'esprit de larges couches de la population polonaise se développaient » (p. 65). Or, ce poison infiltrait toute la société jusque et y compris la résistance. La vie de Bernard Goldstein et de ses camarades ressemble à une fuite désordonnée et sans fin. En effet, l'impression qui domine ce texte est l'isolement de la résistance juive qui du affronter à la fois la terreur nazie, les « zmalzovniks » (groupes de délateurs), l'hostilité de la population, l'indifférence ou la passivité de la résistance et des alliés. Comme le dit l'auteur : « Les puissantes armées alliées, dressées sur tous les fronts, combattaient fraternellement. Mais le front du ghetto de Varsovie resta seul. Ses héroïques combattants furent brûlés sur ses ruines. Leurs appels désespérés furent noyés dans les nuages de fumée, étouffés par le tonnerre des canons… » (p. 185). Or, cette fuite semble sans fin et cet isolement d'autant plus grand qu'ils se sont poursuivis en-dehors du ghetto, après son écrasement, après l'insurrection de la capitale polonaise, puis, plus tard, lors de l'occupation soviétique, qui cherchait à contrôler ou éliminer les différents courants non communistes de la résistance polonaise.

Il manque cependant à ce témoignage toute une armature critique qui fait ici défaut, malgré la préface de Daniel Blatman. Ainsi, un index des noms et des groupes cités, une chronologie, un plan du ghetto et, plus généralement, une rapide esquisse des liens entre les différents groupements ou courants de la résistance auraient été bienvenus. Ces diverses annexes auraient permis de mieux mettre en perspective ce témoignage écrit dans et autour d'« un vide qui me laissait pareil à une âme morte errant au hasard dans l'espace, sans raison et sans but, au-dessus d'un désert formé de décombres… » (p. 263). L'enjeu de la mémoire sur lequel revient la préface et se clôt ce livre prend ici tout son sens, à travers la récupération de cette expérience extrême.

Frédéric Thomas

 

Kurt GOSSWEILER, Hitler. L'irrésistible ascension ? Essais sur le fascisme, Aden, Bruxelles, 2006, 244 p. août 2007*

Un bon éditeur, Aden par exemple, édite en principe de bons livres. Mais toute règle connaît ses exceptions. Le livre de Gossweiler en fait partie. Inutile de se précipiter pour le lire. Tout d'abord parce que sa thèse est connue depuis le milieu des années 30. Daniel Guérin, en publiant Fascisme et grand capital en 1935 avait déjà démontré les liens intimes unissant le mouvement hitlérien aux grandes industries capitalistes. Certes Hitler fanatisait les foules et rassemblait les fractions en chute sociale de la petite bourgeoisie, mais son mouvement recevait ses fonds des grands industriels. Gossweiler ne raconte pas autre chose, tout au long de ses différentes contributions. Mais, et c'est la seconde critique que l'on peut porter à cette sélection d'articles, il y fleure bon un parfum de nostalgie de feu le système communiste/stalinien. L'historienne Annie Lacroix-Riz dans sa préface ouvre le feu pour magnifier le rôle du KPD, le Parti communiste allemand, adversaire le plus résolu des nazis. Lequel KPD, par sa politique sectaire vis-à-vis de la social-démocratie a favorisé l'accession des nazis au pouvoir. Il revient à Gossweiler de sortir l'artillerie lourde, celle des déclarations du 7 e congrès de l'IC et de son dirigeant Dimitrov, pour enfoncer le clou. La politique du KPD fut juste tout au long de la république de Weimar. Si l'unité ouvrière ne fut jamais réalisée, ceci est dû au fait (réel par ailleurs) que la social-démocratie luttait tout autant contre les nazis que contre les communistes, considérés tout deux comme des ennemis de la république de Weimar. Le quatrième chapitre sur le putsch de Papen contre le bastion social-démocrate de Prusse de juillet 1932 est sans doute une des parties les plus intéressantes du livre. La destitution du gouvernement social-démocrate prussien fut une répétition de ce qui allait se passer le 30 janvier 1933, sans que la social-démocratie ne réagisse le moins du monde, en appelant au respect fétichiste de la démocratie. La critique de Gossweiler porte juste. Faut-il absoudre pour autant le KPD qui, non seulement a fait le coup de poing commun avec les SA contre les syndicalistes « jaunes » sociaux-démocrates, mais se réjouissait par avance de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en proclamant, « Après Hitler, Thälmann » (dirigeant du KPD). Historien officiel de feu le régime de la RDA, Gossweiler nous offre le récit stalinien officiel sur le fascisme. Loin d'apporter des éléments nouveaux à la compréhension du fascisme allemand, ce livre ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes.

G.U.

 

 

Heinz HEGER, Les hommes au triangle rose, préface de Jean Le Bitoux, Béziers, H§O éd., 2006, 180 p. novembre 2006*

H§O éd. a eu la bonne idée de rééditer cet ouvrage publié initialement en 1970, en allemand, puis en 1980 en français, aux éditions Persona aujourd'hui disparues (1). C'est le témoignage émouvant d'un homme, autrichien d'origine, déporté en 1939 à l'âge de 24 ans pour homosexualité. Aucunement impliqué dans des activités politiques, il a été déporté uniquement du fait de son orientation sexuelle, comme plus de 100.000 autres jeunes européens (de 100 à 150.000 selon le Mémorial de l'Holocauste de Washington). L'objectif du régime nazi était de débarrasser le peuple allemand des « dépravés ». Parfois réunis aux autres déportés, parfois séparés – dans ce cas ils étaient soumis à des vexations supplémentaires : la nuit la lumière restait allumée dans leurs baraques et ils devaient dormir les mains sur la couverture – les « triangles roses » sont, avec les juifs et les tsiganes, tout en bas de la hiérarchie des humains édictée par les nazis. Dans sa préface, Jean Le Bitoux écrit que les 2/3 mouraient au cours de leur première année d'internement, d'où la valeur de ce témoignage et de celui de Pierre Seel, édité en 1994 (  Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel  , Calmann-Lévy).

Remarquons toutefois que le régime nazi n'eut pas à innover, puisqu'il se contenta d'appliquer et de durcir la législation de l'empire allemand : en effet, Heinz Heger fut condamné conformément au paragraphe 175 d'une loi allemande datant de 1871 – elle ne sera abolie qu'en 1964 – sanctionnant les « pratiques répétées sur personne du même sexe »… Les vexations subies au camp de Sachsenhausen-Oranienbourg d'abord, puis à celui de Flossenbürg ensuite s'apparentent à celles qu'ont racontées de nombreux autres déportés. Ainsi, lorsqu'ils sont occupés à construire un nouvel emplacement de tir pour les SS, les déportés sont mitraillés : les SS, au lieu de tirer sur les cibles font la chasse aux conducteurs de brouettes, causant de nombreux morts. Mais, maudits parmi les maudits, les « frères chauds » – ainsi étaient-ils nommés – endurèrent des traitements spécifiques, la castration par exemple, tout en servant couramment de cobayes pour des expériences médicales qui se terminaient par la mort.

Animé d'un extraordinaire désir de vivre, H.Heger nous explique qu'il a survécu à six ans d'enfer en servant de « mignon » à des Kapos influents. Pour vivre, il était disposé à « payer le prix, à renoncer à toute idée de morale, de bienséance ou d'honneur ». Il a donc vécu des scènes d'une brutalité inouïe : l'exécution des prisonniers soviétiques par exemple, après juin 41, tellement nombreux qu'il fallut éliminer leurs corps en dressant des bûchers, le crématoire n'y suffisant pas. Mais aussi il y eut de rares moments hilarants : travaillant, en commando extérieur dans un couvent réquisitionné, ils eurent droit à un véritable festin préparé par les bonnes sœurs, servi sur une nappe blanche, dans de la vaisselle de faïence…brutalement interrompu par le chef SS furieux! Il explique aussi qu'un bordel, ouvert aux déportés, a fonctionné un moment à Flossenbürg (été 1943) avec des femmes volontaires du camp de Ravensbrück, à qui on avait promis la liberté au bout de six mois. Promesse non tenue, car elles furent envoyées quand même à Auchswitz, ensuite.

Après la libération des camps, il n'était pas de bon ton d'évoquer les déportés qui le furent pour cause d'homosexualité. De retour à Vienne, sur son passage les voisins chuchotaient : « le pédé des camps ». Et l'administration de l'Autriche libérée refusa de tenir compte de ses années de déportation. En France ce n'est que depuis peu – milieu des années 1990 – que les grandes fédérations de déportés acceptent que des gerbes soient déposées à la mémoire des homosexuels déportés.

PS. Signalons l'excellent site Internet : www.triangles-roses.org

Salles Jean-Paul

(1) Cette maison d'édition avait été créée par Jean-Pierre Jaecker (J.-P. Lorrain à la LCR, dont il a été militant pendant 11 ans, jusqu'en 1979, initiateur et membre de sa Commission nationale homosexualité, la CNH). Les éditions Persona n'ont pas survécu à son décès.

 

 

Nico JASSIES, Marinus van der Lubbe et l'incendie du Reichstag, Paris, Editions antisociales, 2004, 185 p.

Nico Jassies, archiviste professionnel de l'Institut International d'Histoire sociale d'Amsterdam, lui-même auteur d'une synthèse en néerlandais sur Van der Lubbe en 2000, revient sur cette question après la publication de l'ouvrage de Charles Reeve et Yves Pagès, Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l'incendiaire du Reichstag (Paris, Editions Verticales/Le Seuil, 2003). Il ne nie pas la qualité de l'ouvrage - comme nous l'avions souligné dans notre compte rendu paru dans Dissidences n°14-15, octobre 2003-janvier 2004, p. 119-120 -, il reconnaît que ce livre contribue à établir la vérité historique contre la version stalinienne des faits. Il regrette lui aussi que les écrits de l'historien allemand Fritz Tobias (articles de 1959, ouvrage de 1962, traduit en anglais en 1963, jamais en français), dans lesquels ce dernier réfutait les légendes qui couraient sur l'incendie du Reichstag, aient été rejetées par de nombreux historiens allemands. Pour eux, affirmer que Van der Lubbe a agi de sa propre initiative vise à blanchir les nazis. Ou encore, si ce crime n'est pas imputable au nazisme, alors tous ses autres crimes, y compris l'Holocauste, seraient relativisés. De même l'historien germaniste français Gilbert Badia, lié au PCF, n'a jamais douté de la culpabilité des nazis dans l'incendie du Reichstag (cf. G. Badia, Feu au Reichstag. L'acte de naissance du régime nazi, Paris, 1983). Le livre de Pagès et Reeve a donc bien le mérite de prouver que Van der Lubbe était un véritable militant révolutionnaire et non un agent provocateur ou un débile, manipulé par les nazis pour les uns, par les communistes pour les autres.
L'auteur adresse à Pagès et à Reeve un certain nombre de critiques qui, disons-le, nous paraissent bénignes. Il leur reproche par exemple d'être passés trop vite sur le rôle du militant anarchiste français André Prudhommeaux, animateur d'un Comité international Van der Lubbe, capable de voyager en Hollande pour recueillir le témoignage des compagnons de lutte de Marinus. Il regrette aussi que les auteurs - dans un souci de scoop - aient omis de signaler que l'article de Sylvia Pankhurst, publié par eux, l'avait déjà été en français dans une revue anarchiste, Le Semeur (7 octobre 1933), et en anglais dans le Sunday Dispatch (24 septembre 1933). Mais surtout, l'auteur regrette que les éditeurs des Carnets de Van der Lubbe le qualifient d"antifasciste", alors qu'il était tout simplement "anticapitaliste". Dans certains milieux d'extrême gauche ce type de débat semble important, avec cette question sous-jacente : la lutte contre le fascisme est-elle de nature à renforcer la démocratie et donc à assurer la survie du capitalisme? Plus étrange, l'auteur, grand admirateur de Guy Debord, reproche aux deux auteurs de vouloir attaquer les "conceptions complotistes" de l'histoire (in Lettre publiée en annexe, p. 119-132). Pour lui c'est un faux débat. Ainsi, il semble persuadé de l'évidente complicité de l'administration Bush avec Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001 (p.131). Par delà ces polémiques inutiles, saluons ces efforts salutaires pour faire voler en éclats une des nombreuses fables que des militants et des historiens mal intentionnés ont fabriquées et colportées pendant de longues années.

Jean-Paul Salles

 

Franz JUNG, Le chemin vers le bas. Considération d'un révolutionnaire allemand sur une grande époque (1900-1950) , Marseillle, Agone, 2007, 559 p. août 2007*

Autant le dire tout de suite, la lecture de ce livre s'impose définitivement pour toute personne intéressée par le mouvement révolutionnaire de l'entre-deux-guerres européen. Publiée une première fois par les éditions Ludd sous le titre Le Scarabée-torpille en 1993, cette autobiographie est la seule publication disponible en français des œuvres complètes de l'auteur, qui comptent 14 volumes. Quel sera l'éditeur assez intrépide pour publier l'intégralité de cette œuvre ? En attendant, avec le soin qu'on leur connaît en matière éditoriale, Agone nous propose une nouvelle édition de ce livre majeur. On appréciera le fort travail accompli par l'éditeur qui offre plus de 100 pages de chronologie, de glossaire (une pure merveille) des noms de personnes, de publications et d'organisations, et de nombreux index permettant réellement de contextualiser l'œuvre pour le lecteur français. Franz Jung fait partie de cette avant-garde littéraire (la bohême artistique d'avant la Première Guerre mondiale, comptant notamment Erich Mühsam, Franz Pfemfert, Karl Otten, etc.) qui se radicalise durant la guerre, s'engage en politique au sortir de celle-ci à travers la révolution de novembre (écrasée par les sociaux-démocrates), devient un dirigeant de l'extrême gauche allemande (celle qui se retrouve dans le KAPD, le Parti communiste des ouvriers allemands) après avoir tâté du KPD, participe à la révolution russe en travaillant pour le Komintern, devient directeur d'une usine métallurgique à Petrograd. A la fin des années 1920, il revient dans une Allemagne où les nazis prennent leur premier élan. Journaliste économique, il continue à être actif au niveau politique tout en poursuivant ses activités littéraires. Il est emprisonné par les nazis après leur arrivée au pouvoir en janvier 1933. Libéré, il s'exile avant la guerre, rejoignant l'opposition en exil, puis se réfugie en Suisse. Revenu en Allemagne après la défaite des nazis, il poursuivra une activité journalistique économique avant de partir pour les Etats-Unis où il s'établit définitivement, obtenant la nationalité américaine. A la fin des années 50, Jung commencera la rédaction de son autobiographie. Traversant le destin tourmenté de cette Europe de la révolution, puis de son échec définitif, son récit captivera le lecteur, emporté par une écriture trépidante. Mêlant des aperçus sur les avant-gardes esthétiques et politiques de l'Allemagne de Weimar, ce roman-vrai se lit avec une fougue jamais démentie. Un grand, un très grand livre. Un témoignage capital.

G.U.

 

Stefani KAMPMANN, La vague , Paris, J.C. Gawsewitch éditeur, 2009, 172 pages, 16,95€. juin 2009*

Mots clés : Bande dessinée, fascisme, nazisme, histoire.

Il est probable que la dessinatrice de ce « roman graphique » vous soit moins connu que l'auteur du roman dont il est issu. En effet, le livre éponyme de Todd Strasser, non seulement a été un best seller, mais a finalement fait l'objet d'une adaptation filmique qui est sortie sur les écrans début 2009, avec un certain succès.

Le scénario est simple. Un professeur d'histoire, dans un lycée américain, voit son cours sur le phénomène nazi difficilement compris par ses élèves qui ne conçoivent pas comment une population entière a pu se soumettre aux nazis. Partant de là, il lance une expérience basée sur la psychodynamique de groupe, discipline qui par ailleurs a été mobilisée pour tenter de fournir des explications scientifiques aux meurtres de masse ( cf . Ted Browning, Des hommes ordinaires , 10-18). Le professeur réussit mieux qu'il ne s'y attendait à développer le sens de la fusion communautaire au sein de sa classe, puis de toute l'école. Sauf qu'en même temps qu'il parvient à dynamiser les élèves, les phénomènes de mise à l'écart, puis d'exclusion des réticents se manifestent. La dynamique prise par l'expérience révèle bien une tendance à la radicalisation du groupe mobilisé, jusqu'au développement des violences physiques. Il décide alors d'arrêter là l'expérience en dévoilant aux élèves médusés le processus dans lequel ils sont engagés.

La bande dessinée suit pas à pas les développements du roman (qui inspire lui-même le film). Sans constituer un chef d'œuvre du point de vue de la narration ni du dessin, ce roman graphique se laisse lire sans déplaisir. L'insertion de quelques photographies lui confère un contenu très réaliste. Signalons d'ailleurs au passage que les spécialistes ou bons connaisseurs du judéocide ne partageront pas la version ici fournie du processus d'extermination. En effet, dans une bulle il est indiqué (p. 14) que « Des humains ont été parqués ainsi dans toutes l'Europe. Au début, on les faisait travailler très dur, on les affamait, on les torturait et quand ils n'étaient plus aptes au travail, ils finissaient dans les chambres à gaz ». Description qui ne correspond pas au processus génocidaire tel qu'il fut mis en œuvre dans les « usines de la mort » que furent les camps en Pologne occupée, puisque les juifs y étaient gazés dès leur descente de train, à l'exception d'une toute petite minorité. Mais bien entendu, l'enjeu de cette BD ne se situe pas à ce niveau, visant surtout à avertir les générations futures que les mécanismes qui ont été à l'œuvre dans le nazisme peuvent se reproduire à l'avenir. Le ventre est encore fécond, on ne le répétera jamais assez.

G.U.

 

Jacques LECLERCQ, Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours , Paris, L'Harmattan, 2008, 698 pages, 59 €. mars 2009*

Mots clefs : mouvements réactionnaires, situation politique en France, extrême droite

C'est un colossal travail que compile ce Dictionnaire , réalisé par un chercheur amateur grâce à l'accumulation de données des années durant sur la droite de la droite en France. Par le type d'ouvrage choisi, tous les groupes, revues, collectifs divers sont recensés, ce qui aboutit rapidement à une impression de fouillis que ne vient pas corriger une synthèse préalable sur l'histoire de cette nébuleuse : c'est ailleurs qu'il faudra aller la chercher. De même, aucune illustration n'est incluse, aucune notice biographique ou thématique non plus, ni -et c'est là plus gênant- aucun organigramme permettant de mieux se repérer dans les diverses scissions de la plupart des organisations politiques. Ce manque de références transversales participe clairement de la difficulté à pénétrer et à s'approprier cet enchevêtrement. En fait, en dépit de toute la bonne volonté de Jacques Leclercq, les limites individuelles d'une telle entreprise sont patentes. Des erreurs et des redites subsistent d'ailleurs dans certaines notices, qui ne disposent pas toutes, malheureusement, d'un historique précis et structuré (on se demande même si certaines associations sont toujours d'actualité), ni même parfois d'explications minimales. En outre, si les adresses postales sont souvent indiquées, il n'en est pas de même, systématiquement, pour les sites Internet.

Ce Dictionnaire , à défaut de devenir une référence pleine et entière, n'en apparaît pas moins, en l'état, comme un outil de travail utile. La diversité interne de l'extrême droite y est bien illustrée, des catholiques traditionalistes aux néo nazis, en passant par les royalistes, certains régionalistes et/ou indépendantistes, les pro Algérie française ou les nationalistes révolutionnaires, sans oublier bien sûr le FN (mais pas les bonapartistes, curieusement) ; même les sionistes les plus radicaux sont recensés ! Jacques Leclercq y intègre également un certain nombre de passerelles, reliant la droite parlementaire à l'extrême droite, ainsi du GRECE ou de l'Institut d'histoire sociale. Concernant les liens avec l'extrême gauche, on ne sera guère surpris de voir recenser un André Olivier (antisémite) ou divers collectifs révisionnistes ou négationnistes, à l'image de la Vieille taupe ou de l'Aigle noir. Mais il convient également de citer les héritiers proclamés du courant national-bolchévique (Alternative tercériste), du futurisme (Avant-garde), ou même les Amis du socialisme français et de la Commune (sic !), qualifiés de « tendance néo proudhonienne fascisante » (p. 35). Sans parler de curiosités presque amusantes : outre l'European gay skin association et Gaie France, on peut noter le passage apparent (des vérifications seraient nécessaires) par le mouvement trotskyste de certaines figures de l'extrême droite, François Duprat (très brièvement, semble-t-il), Pierre de la Crau , l'animateur de l'Eglise druidique des Gaules (ancien de l'OCI) ou le royaliste et traditionaliste Daniel Hamiche...

Jean-Guillaume Lanuque

 

Cyril LE TALLEC, Petit dictionnaire des cultes politiques en France, 1960-2000 , Paris, L'Harmattan, collection « Questions contemporaines », 2010, 280 pages, 25 euros. Janvier 2011*

Mots clefs : extrême droite – ésotérisme.

Cyril Le Tallec a déjà par le passé publié quelques ouvrages chez L'Harmattan consacrés à diverses sectes. Avec ce nouveau livre, fruit d'un travail d'accumulation de données sur une période de vingt ans, il propose un recensement qui recoupe en partie celui, déjà fort copieux, de Jacques Leclercq ( Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale , chroniqué sur ce site). D'emblée, toutefois, un problème de définition se pose. Un culte politique, selon Cyril Le Tallec, se caractérise par la maîtrise d'un enseignement secret, forcément élitiste, ayant vocation à exercer une influence politique, mais certaines micro organisations d'extrême gauche ne figurant pas dans ce dictionnaire pourraient pratiquement rentrer dans ce cadre ; plus gênant, alors que l'auteur annonce avoir écarté tout ce qui a trait à la musique, aux francs-maçons et aux chrétiens intégristes, on trouve bon nombre de ces derniers au fil des pages.

En fait, les 365 entrées composent un véritable inventaire à la Prévert , parfois décousu (on y trouve même des réseaux de vente d'objets spécifiques), souvent sidérant. Les satanistes côtoient les ufologistes, les néo-nazis voisinent avec la nébuleuse du GRECE, sans oublier les divers sectateurs païens, les raéliens et une ribambelle de chantres de l'anti-modernité et de l'anticommunisme, jusqu'aux quelques rares adeptes subsistant du culte de l'Être suprême. Si l'extrême droite a la part belle, quelques organisations relèvent au moins en partie du champ d'études de Dissidences, dans ses franges les plus singulières sinon loufoques. L'Alliance universelle biocosmique est ainsi partiellement anarchiste individualiste en plus d'être athée, tout comme Libération païenne, issue de la Nouvelle droite, anarchiste et « dyonisiaque » ; l'Analyse actionnelle organisation (AAO) se réclame de Reich tout en ayant la volonté de former des surhommes, futurs cadres d'un Etat mondial AAO (sic), tandis que la revue Rebis défend une révolution sexuelle assez ouverte de 1978 à 1987, tout en demeurant sous l'ombre tutélaire de Julius Evola. La coopérative européenne Longo Maï illustre pour sa part la dérive sectaire d'une expérience de retour à la terre typique des années 68. Quant à l'Ordre de Melchisédec, il voit en Michel Rocard et Pierre Mauroy rien moins que des extra-terrestres !

Les informations compilées sont assurément utiles, mais souvent, les notices demeurent succinctes, manquant de renseignements pratiques, d'éléments sociologiques et surtout de références internet, la faute principalement à une année butoir qui n'est d'ailleurs jamais justifiée, alors qu'il aurait été plus pertinent de courir jusqu'à 2010. Il aurait également été bienvenu, pour tous les lecteurs n'étant pas ou peu familiers de ces mouvances, d'envisager quelques articles thématiques. Enfin, des redites auraient gagnées à disparaître, tout comme la récurrence du terme « afférent », répété ad nauseam .

Jean-Guillaume Lanuque

 

Jacques LECLERCQ, Droites conservatrices, nationales et ultras. Dictionnaire 2005-2010 , Paris, L'Harmattan, 2010, 228 p., 23 €. Octobre 2010*

Mots clefs : extrême droite.

Jacques Leclercq avait livré fin 2008 un copieux Dictionnaire de la mouvance droitiste et nationale de 1945 à nos jours (chroniqué sur ce site). Avec ce nouvel ouvrage, il souhaite apporter des compléments à certaines notices et des suppléments, portant sur la période allant de 2005 jusqu'à février 2010, une réactualisation justifiée principalement par les conséquences de la crise du Front national. On y retrouve la même volonté d'érudition, la quantité de données détaillées sur les actions de cette « droite de la droite » étant tout particulièrement impressionnante. Jacques Leclercq prend à cette occasion davantage en compte l'internet, ainsi du site néo-nazi emblématique Aime et sers ou des Wikipédias de droite contre-révolutionnaire que sont Métapédia et Eruditus.

Parmi les nombreuses références, on retiendra l'Alliance royale, consultée par la commission Balladur sur la réforme des institutions ; les progrès du Bloc identitaire, du Parti de la France de Carl Lang ou de la Ligue du sud de Jacques Bompard (ex FN et MPF) ; le site Alarmaaaa, quasiment situationniste ; Alternative libérale, de Sabine Hérold, inoubliable auteure (sic) du livre Le bouffon du roi (chroniqué sur ce site). Du point de vue des quelques liens avec l'extrême gauche, on peut citer le mouvement Egalité et réconciliation d'Alain Soral, véritable terrain de rencontre entre les deux « extrêmes », le Mouvement des damnés contre l'impérialisme de Kemi Seba, rallié par Serge Thion, Vive la République de l'ancien militant de la LCR, puis chevènementiste, François Morvan alias François Dietrich, sans oublier la nébuleuse nationale bolchevique (le bien nommé Mouvement national bolchevique français, ou l'Organisation socialiste révolutionnaire européenne et sa publication Rébellion ).

Seules de rares références semblent ne pas avoir tout à fait leur place dans ce recensement, ainsi du Parti humaniste, que l'on aurait davantage tendance, au vu de ses prises de positions, à classer à gauche. Il n'en reste pas moins que comme son prédécesseur, ce livre présente des fautes de français trop nombreuses, dues à un manque de relecture, ainsi que des redites. Il est également dommage que cette longue liste de notices alphabétiques ne soit pas complétée par une synthèse globale permettant d'y voir plus clair dans un univers pour le moins complexe.

Jean-Guillaume Lanuque

 

Marcel LIEBMAN, Figures de l'antisémitisme, Bruxelles, 2009, éditions Aden, 227 pages, 20 €. Février 2010*

Mots clefs : antisémitisme, histoire, sionisme, fascisme, communisme.

Ce livre rassemble une quinzaine de textes s'étalant entre 1959 et 1984 de l'intellectuel marxiste belge Marcel Liebman (1). Dans son introduction, Jean Vogel, par ailleurs coordonnateur de l'Institut Marcel Liebman, rappelle la liberté de ton et l'impertinence de l'auteur, ainsi que l'actualité de sa réflexion.

Les textes, regroupés autour de cinq thématiques (antisémitismes ; et rapports entre antisémitisme et fascisme ; catholicisme ; communisme ; sionisme), sont traversés d'un même schéma analytique, rejetant une quelconque fatalité de l'antisémitisme au profit d'une lecture historique et politique. Ce faisant, Liebman s'oppose tout à la fois au « rétrécissement de la notion d'antisémitisme » et au confusionnisme qui réduit le racisme à l'antisémitisme, pour plaquer celui-ci sur l'antisionisme. Ainsi, il distingue un « antisémitisme traditionnel » de « discrimination, d'humiliation et d'étouffement » de « l'antisémitisme démentiel » des nazis, fondé « sur la liquidation physique brutale » (page 129). La condamnation de ce dernier peut se faire – et s'est faite (notamment par l'Église catholique) – au nom d'un antisémitisme « raisonnable », plus généralisé et diffus. De plus, l'auteur refuse que l'on mette sur un pied d'égalité les manifestations d'antisémitisme à gauche et à droite, estimant qu'il n'y a pas de symétrie entre les deux, concluant même : « l'antisémitisme de l'homme de gauche est un antisémitisme de trahison ; l'antisémitisme de l'homme de droite est un antisémitisme de fidélité » (page 52). Il insiste pour bien séparer l'antijudaïsme des philosophes du XVIII e siècle – s'attaquant à toute forme de « mystification religieuse » -, de Marx et, enfin, des communistes russes, pour qui « la solution du problème juif passait par l'assimilation considérée à la fois comme salutaire et inévitable » (page 142), de l'antisémitisme. Cela n'empêche pas les préjugés racistes chez tel ou tel – la gauche n'est pas immunisée – ni « la coupable complaisance » de l'URSS envers les manifestations d'hostilité aux Juifs, voire de les instrumenter.

Un autre axe critique développé ici est le rapport différent entre racisme, antisémitisme et antisionisme. D'une part, « le racisme en Europe occidentale, plus virulent que jamais, a trouvé depuis quelque temps [ce texte date de 1962] un abcès de fixation autre que le Juif : c'est tantôt le noir, tantôt le Nord-Africain, tantôt l'ouvrier italien » (page 28), à tel point qu'il y a une « analogie frappante » selon lui dans la manière dont la presse – une certaine presse en tous cas – parle des travailleurs immigrés avec celle des années 30 parlant des Juifs. D'autre part, il voit dans « cet amalgame affirmé, ou suggéré, systématiquement entretenu entre l'antisionisme et l'antisémitisme, [est devenu] une arme politique » (page 185), qui risque de devenir une prédiction créatrice en faisant glisser l'antisionisme vers l'antisémitisme. D'où l'impérieuse nécessité de mettre en avant une critique politique et historique.

Si les textes sur l'URSS, l'Église catholique n'apportent guère d'éléments historiques nouveaux, l'originalité de la pensée de Liebman me semble surtout résider dans sa dénonciation d'un « fascisme ordinaire », d'aujourd'hui : « le fascisme des honnêtes gens » (page 93). Plus sournois en raison de sa banalité, refusant justement l'étiquette fasciste, et étranger aux manifestations les plus spectaculaires du fascisme des années 30 et 40. Plus dangereux aussi car « on se trompe aussi de cible : le néonazisme n'attire pratiquement personne. Le néofascisme n'est guère plus populaire. C'est un fascisme larvé, un fascisme ordinaire qui risque de faire des ravages et en opère déjà parmi des masses considérables de citoyens apparemment inoffensifs et apparemment respectables. Il s'attaque aux chômeurs, il vise les déviants, il agresse les immigrés et se couvre des déguisements les plus civiques : défense de la libre entreprise – et de sa compétitivité -, protection de la morale, sauvegarde de la nation » (page 80).

Une réflexion vieille de plus d'un quart de siècle et qui reste donc d'une grande actualité.

Frédéric Thomas

(1) Le lecteur intéressé trouvera dans les compléments en ligne du volume 7 de Dissidences l'un des derniers articles de Liebman ainsi que le lien vers le site de l'Institut Marcel Liebman.

 

Jean-Jacques MARIE, L'antisémitisme en Russie, de Catherine II à Poutine , Paris, Tallandier, 2009, 448 pages, 27 euros. Septembre 2009*

Mots clefs : Russie – antisémitisme – juifs.

Le nouveau livre de l'historien Jean-Jacques Marie a de quoi surprendre ceux qui le connaissent surtout comme s'intéressant à Trotsky et à la Russie bolchevique puis stalinienne. En réalité, le choix de l'antisémitisme entretient plus d'un lien avec ses terrains de prédilection, et on ne doit pas oublier que l'auteur fait partie de ces chercheurs qui, loin de lancer des anathèmes en demeurant dans son bureau, pratique les archives russes depuis longtemps.

Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, JJ Marie débute en réalité son étude par le mythique empire khazar, récemment remis en lumière par l'historien israélien Shlomo Sand (1) (voir la chronique de son livre sur ce site), car cette page de l'histoire médiévale constitue une des sources de l'idéologie antisémite actuelle. A travers cette étude dense et érudite, l'auteur privilégie une grille d'explications matérialistes, y compris pour diagnostiquer les communautés religieuses juives, en identifiant l'antisémitisme russe séculaire comme issu avant tout des rapports de production : pratiquant une usure interdite par d'autres religions, les juifs avaient de quoi cristalliser les haines, servant également de bouc émissaire pour une aristocratie et une Eglise orthodoxe arc-boutées sur leurs privilèges et rétives à l'évolution capitaliste. Les mesures de discrimination prises à leur égard par l'autocratie témoignent d'ailleurs d'une incontestable permanence, et ce dès Ivan le terrible, leur répétition s'expliquant par la corruption chronique qui gangrène l'empire et amoindrit l'impact des mesures étatiques. Parallèlement, une volonté d'intégration se manifestait, mais le plus souvent en privilégiant la force et la russification. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, l'antisémitisme progresse au sein de la population, avec des pogromes récurrents et la rédaction des trop fameux Protocoles des Sages de Sion en 1905. Par ailleurs, l'enrichissement d'une minorité juive ne peut dissimuler la situation de la majorité, vivant chichement et dominée par un parasitisme religieux conservateur.

C'est en réaction à ce cadre étouffant et à l'hostilité ambiante vis-à-vis des juifs que nombre d'entre eux font le choix de rejoindre les rangs révolutionnaires (dont le célèbre Bund). Ce n'est qu'avec les révolutions de 1917 que la législation antijuive disparaît, les bolcheviques se distinguant par une opposition farouche à l'égard de l'antisémitisme (2). Si les juifs sont néanmoins divisés durant la guerre civile quant à leurs engagements, les années 1920 s'imposent comme celles de l'épanouissement maximal d'une culture juive, avec une forte intégration dans l'appareil d'Etat et les débuts de la colonisation agricole du Birobidjan. Le contraste est donc clairement marqué par rapport à la période ultérieure, conjointement d'ailleurs avec le retour en force du nationalisme russe. JJ Marie distingue toutefois nettement entre l'antisémitisme nazi et celui de Staline, à double face, tout comme pour son communisme : une condamnation publique de l'antisémitisme, et son utilisation dans le cadre de la répression ; ainsi, à la charnière des années 40 et 50, les juifs étaient destinés à jouer le rôle qu'avaient remplis les trotskystes pour les procès de Moscou, sans aller pour autant au projet d'une nouvelle « solution finale », fantasme de certains auteurs que JJ Marie démonte. La discrimination est en tout cas une permanence de la bureaucratie, à la fois incarnation de la haine à son égard et bouc émissaire pour celle-ci, poussant les juifs d'URSS vers Israël ou les Etats-Unis, alors qu'au début du XXème siècle, l'empire de Russie abritait la majorité des juifs du monde.

Quant à la situation actuelle, marquée par la décomposition mafieuse, elle est plus que favorable à un antisémitisme qui s'incarne même dans la figure de Soljenitsyne, dénoncée par l'auteur. Une vision originale de l'histoire de la Russie , pour laquelle JJ Marie relit de manière critique un certain nombre d'auteurs (ainsi d'Abraham Léon), et à laquelle il manque simplement quelques cartes.

Jean-Guillaume Lanuque

(1) Comment le peuple juif fut inventé ? . Curieusement, d'ailleurs, alors que l'ouvrage fait partie de la bibliographie, il n'est à aucun moment cité en notes…

(2) Néanmoins, une contradiction subsiste : la suppression du passeport intérieur est en effet d'abord portée au crédit de la révolution d'octobre 1917, puis de celle de février. Le résultat d'une relecture sans doute perfectible.

 

Zenzl MUHSAM, Une vie de révolte, Baye, La digitale, 2008, 243 p., 18 €. juin 2009*

Mots clés : République des conseils, Munich, Weimar, stalinisme, anarchisme, goulag, révolution, KPD.

Il faut savoir gré à cette toute petite maison d'édition de poursuivre avec constance le travail de publication d'Erich Mühsam et, ici, de sa femme. Erich Mühsam fut un poète libertaire de la bohème allemande avant 1914. Lors du bref épisode de la République des conseils de Bavière, il fut à leur direction. Arrêté et miraculeusement, épargné, il fut libéré suite à une intense campagne de solidarité. Ce sont les nazis qui l'emprisonneront à nouveau, dès l'incendie du Reichstag. Emprisonné au camp de concentration d'Oranienburg, il sera exécuté dans d'atroces conditions. Sa femme parvient à s'enfuir à Prague, puis face à l'isolement dans lequel la laisse le mouvement anarchiste, elle s'exile en Union soviétique. Las, considérée comme une opposante politique, elle sera rapidement emprisonnée, libérée grâce à une campagne internationale, puis de nouveau emprisonnée au Goulag. Elle y survécut et parviendra finalement à revenir en RDA en 1955, où elle s'éteint en 1959. Ce livre lui est totalement dédié, à elle qui, sa vie durant, a préservé les écrits de son mari afin de transmettre sa mémoire. Ce livre est un hommage au destin d'une femme exceptionnelle. Il se compose de plusieurs parties de nature très différente, mais qui forment un ensemble d'une valeur, n'hésitons pas à l'écrire, exceptionnelle. On y trouve une série d'articles, inédits en français, publiés par Mühsam, dans sa revue Fanal, s'étalant de 1926 à 1932. Cette anthologie permet d'approcher ses analyses politiques et culturelles. Il faut lire « Réflexions sur Novembre », pour saisir l'ampleur de son rejet de la social-démocratie, dont le républicanisme est mis en cause. Quant on connaît la vénération des socialistes allemands pour Weimar, on comprendra la portée de la critique. Mais Mühsam fait preuve de la même distance à l'égard du communisme stalinien (lire « L'édification du socialisme », 1936). Est reproduit également un choix de lettres de Zenzl, qui couvre une très large période, de 1918 à sa mort. Lettres qui rendent justice à celle qui n'était considérée que comme la femme de… Uschi Otten, un auteur allemand qui travaille dans le cadre de la Société Mühsam, offre un portrait biographique de Zenzl qui constitue en même temps une évocation du drame des exilés allemands en Union soviétique. Cependant, selon nous, la pièce maîtresse de ce recueil est consituée par l'article de l'historien Reinhard Müller, spécialiste de la question de l'exil des allemands en URSS. Si cet auteur semble totalement inconnu de ce côté-ci du Rhin, sa contribution constitue néanmoins un document de première importance. En effet, Zenzl a été accusée, à l'occasion de son premier emprisonnement, d'avoir été en contact avec des oppositionnels trotskystes allemands exil en Union soviétique. Ce « complot », ainsi que le démontre R. Müller, sur la base de l'analyse des archives du NKVD, disponibles depuis la chute du système soviétique, est une création policière complète. L'historien assimile ces procès, dans lequel Zenzl fut impliquée, au mécanisme qui a présidé, aux XVIe-XVIIe siècles, aux procès à l'encontre des sorcières. R. Mûller cite des documents qui mériteraient d'être traduits en français, tant on connaît peu et mal la manière dont les communistes allemands, y compris les plus fidèles au régime stalinien, ont été décimés en Union soviétique. Par chance, Zenzl échappa à ce massacre. Paradoxalement, son destin est totalement lié aux deux grandes réactions du 20 e siècle que furent le nazisme et le stalinisme. La libération de son mari en 1924 est le pendant de la libération de Hitler. Les juges souhaitant libérer Hitler suite au Putsch de la Brasserie, afin de faire bonne mesure libérèrent par là même Mühsam. Emprisonnée par les russes au Goulag durant la guerre, Zenzl avait son nom couché sur une liste par les nazis qui traquaient les exilés allemands lors de leur avance sur Moscou ! On le voit, cet ouvrage, à travers ces différentes strates, offre le portrait d'une femme dont le destin, exceptionnel à bien des égards, est tout entier déterminé par les soubresauts du mouvement ouvrier allemand de la première moitié du 20 e siècle.

G.U.

 

Didier MUSIEDLAK, Mussolini, Paris, Presses de Sciences politiques, 2005, 436 p.

On aurait pu penser que tout avait été dit sur ce sujet après la monumentale biographie de Renzo de Felice (en 8 volumes publiés de 1965 à 1997, dont un volume a été traduit en français, Le fascisme, un totalitarisme à l’italienne, PFNSP, 1988), après les travaux de son élève Emilio Gentile (notamment Qu’est-ce que le fascisme ?,Gallimard, Folio, 2004), et après la grande biographie de Pierre Milza parue chez Fayard en 1999. Didier Musiedlak, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Paris X Nanterre, ancien élève de l’Ecole française de Rome, auteur d’une thèse soutenue à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris en 1999, publiée en italien (Lo Stato fascista e la sua classe politica, 1922-43, Bologne, Il Mulino, 2003), apporte pourtant des éclairages intéressants et novateurs sur plusieurs aspects.
Ainsi, Mussolini n’est pas seulement cet Hercule de foire habituellement présenté. Certes, dans ses rapports avec les femmes il fait preuve de brutalité (« sa conception barbare de la masculinité », sic), mais Mussolini s’est donné une véritable culture. Il maîtrisait parfaitement l’allemand et le français, ayant obtenu un diplôme de professeur à l’Université de Bologne. Et surtout il a été, longuement, un militant socialiste, en Italie comme en Suisse, emprisonné à plusieurs reprises pour son activisme, tenant du socialisme révolutionnaire, dont il assure la victoire dans un parti tenté par le réformisme (au congrès de juillet 1912). En novembre 1912, il devient directeur du principal journal du parti, l’Avanti. On savait déjà que Mussolini avait hérité de son père une authentique culture socialiste révolutionnaire romagnole. Musiedlak revient utilement sur la Romagne, « terre classique de toutes les séditions », située au Nord de l’Apennin, non loin de Rimini.
Au cours de son exil en Suisse, il se familiarise avec le marxisme, grâce à la militante bolchevique Angelica Balabanoff. Mais c’est finalement Nietzsche – et aussi Georges Sorel – qui aura le plus d’influence sur lui, l’épisode de la guerre parachevant cette victoire de Nietzsche sur Marx. C’est à Nietzsche qu’il emprunte le concept de vitalisme, l’idée qu’il faut régénérer le peuple par une réforme spirituelle. C’est à cette source qu’il forge son imaginaire hanté par le déclin du peuple et le mythe de la refondation. En effet, le fascisme voulait refaire l’homme, faire naître « l’homme nouveau » : « refaire non les formes de la vie humaine mais le contenu, l’homme, le caractère, la foi » (Mussolini, Œuvres complètes, volume 34, cité page 273). La « svolta », son changement brutal, n’est pas le fait de l’opportunisme, mais le résultat d’une véritable conversion, accélérée par la guerre : « Avec la guerre, Mussolini découvre l’héroïsme de la nation par rapport à celui de la classe ».
L’auteur consacre un passage très intéressant aux « espaces sacrés » du Duce. Installé au Palazzo di Venezia, à Rome, il en fait le centre « vers lequel la foule converge pour se masser sous le célèbre balcon ». La fenêtre de son bureau reste allumée tard dans la nuit -alors que Mussolini est un couche-tôt et que le bureau est vide-, veilleuse rassurante au centre de la ville endormie et œil omniscient tout droit sorti d’Orwell ! Il fait le point aussi sur les débats historiographiques en cours. L’hypothèse d’une domination sans partage exercée par Mussolini sur l’Etat fasciste est remise en cause au profit de la thèse de l’association conflictuelle d’une direction monocratique et d’un parti puissant. De même est réfutée la thèse du totalitarisme manqué ou imparfait. A partir de 1936, avec l’adoption des lois raciales, s’effectue le passage au totalitarisme, « davantage signe d’une radicalisation interne qu’alignement externe, lié au rapprochement avec l’Allemagne nazie » (p.397). Un « razzismo fascista » est attesté très tôt, dans les colonies italiennes. Dès 1930, on assiste en Libye à la déportation des populations indigènes, à l’ouverture de 15 camps de concentration dans une zone désertique de Cyrénaïque.
Un ouvrage précieux, non seulement une biographie mais une mise au point complète sur l’état de la recherche sur l’Italie fasciste par un bon connaisseur de toute la littérature scientifique récente en italien, français, anglais et allemand.

Jean-Paul Salles

 

Lionel RICHARD, Goebbels. Portrait d'un manipulateur, Bruxelles, André Versailles éditeur, 2008, 279 pages, 20 €. mars 2009*

Mots clés : Nazisme, totalitarisme, Allemagne, Révolution conservatrice.

Lionel Richard livre ici un portrait, non une biographie, de Joseph Goebbels. La distinction importe. La logique biographique suppose souvent l'attention psychologique au sujet, Lionel Richard se méfie de ces reconstructions «  où se complaisent tous les sophistes qui se dérobent aux analyses sociales  » (p 271). Ce refus d'une psychiatrisation de l'histoire ( idem ), s'accompagne de la méfiance envers les sources –les premiers portraits de Goebbels sous le III e Reich sont apologétiques- et la littérature historique d'après 1945 sur le sujet, manifestant bien souvent, «  au mieux, une attirance pour le romanesque »  (p 273). On reconnaît dans ces préventions la marque de l'un de ses précédents ouvrages, Suite et séquelles de l'Allemagne nazie (Syllepse, 2005), les lignes consacrées à Otto Strasser, son supposé antifascisme, l'illustrent. Lionel Richard compose son portrait par un recours direct aux sources, notamment les articles des journaux nazis que furent le Völkischer Beobachter, Der Angriff, Das Reich .

Douze chapitres scandent ce portrait. Lionel Richard décrit l'ascension d'un jeune bourgeois conformiste, avide de la reconnaissance par la soutenance d'une thèse portant sur Wilhem von Schütz, auteur romantique. Fortement ancrée dans un conservatisme d'extrême droite, rapidement écrite sans souci d'ailleurs de ce qui fit la rigueur de l'Université allemande, la thèse lui vaut le titre de Doktor , constamment arboré depuis. Alors débute la carrière nazie de Goebbels, démagogue proche des frères Strasser, rallié ensuite à Hitler dont il jouit de la confiance pour développer le parti à Berlin. L'homme devient ensuite ministre pour l'Information du peuple et la propagande après 1933 ; un temps il caressait l'espoir d'un ministère des Affaires culturelles. Goebbels est là à son aise, manipulant l'information, montant des coups propres à pérenniser le charisme du chef. Les derniers chapitres le campent en général en chef de la guerre totale , pris dans les rets de l'héroïsme factice . Goebbels se suicide avec toute sa famille, les corps des époux sont à moitié carbonisés dans les décombres du bunker d'Hitler.

Le sel du portrait tient d'abord à la mise en évidence des manipulations auxquelles Goebbels se livre pour conforter l'image du parti, le charisme du chef. Il modifie ainsi la voix d'Hitler à la radio pour lui donner plus de substance, de pouvoirs de séduction. Il est aussi à l'origine des cérémonies funèbres données pour les « martyrs » de la cause nazie, comme Horst Wessel. En matière propagandiste, Goebbels se montre attentif à tout, maniant le ciseau et la coupe pour remonter les films antisémites comme le Juif errant ou les films de propagande de guerre. L'essentiel de la pensé de Goebbels en terme propagandiste se ramasse dans une note de sa part en 1933, «  dès l'instant où l'on prend conscience de la véritable nature d'une propagande, elle perd toute efficacité  » (p. 157). Par touches, Lionel Richard permet de mesurer la construction de l'image du chef, la part de la propagande dans le contrôle et la nazification de la société allemande. Le livre est aussi l'occasion d'affirmer sur l'antisémitisme nazi la perspective intentionnaliste : de multiples citations éclairent l'antisémitisme de Goebbels et des nazis, elles sont sans ambiguïtés. C'est l'occasion pour Lionel Richard d'argumenter et polémiquer avec les historiens sur les intentions génocidaires des nazis en Pologne (note 1, p. 182), avec Philippe Burrin (note 5, p. 188) mais aussi avec Christian D elage sur l'irrationalité de l'antisémitisme nazi (note 8, p 198) et Ian Kershaw sur l'incendie du Reichstag (note 12, p 132). Pour le lecteur peu au fait de l'historiographie, la note de bas de page handicape plus qu'elle n'éclaire ici, appelant de plus amples développements.

Ecrit d'une plume alerte, Goebbels portrait d'un manipulateur , introduit la lecture de son journal, réédité il y a peu (Tallandier, 2005). Les chapitres consacrés par Lionel Richard aux ambitions littéraires de Goebbels s'avèrent ici précieux pour comprendre que le carnet n'est pour lui qu'un lieu où se projeter –et se protéger de- dans la postérité. Le livre reposé, par touches, Lionel Richard a su composer un portrait attentif aux analyses sociales.

Vincent Chambarlhac

 

Friedländer SAUL, Pie XII et le IIIe Reich , suivi de Pie XII et l'extermination des Juifs. Un réexamen (p.285-305, complément de 2009), Paris, Seuil, réédition en 2010 d'un texte de 1964, 305 p. 20 €. Décembre 2010*

Mots clés : Eglise, papauté, nazisme.

Nous sommes en présence d'un vrai travail d'historien. Les documents sont largement cités et recoupés les uns par les autres. Ce sont des documents diplomatiques anglais, américains, allemands surtout, ces derniers issus des archives du Secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères, section des Affaires vaticanes et italiennes. Malheureusement les Archives du Vatican relatives à la Deuxième Guerre mondiale restent toujours fermées. Les 11 volumes de documents publiés par le Vatican de 1965 à 1981 « sont tellement sélectifs qu'on ne saurait en aucune façon y voir le fondement suffisant d'une recherche historique » (p.285). Cependant, en 1998 puis en 2003, ont été rendus accessibles des documents intéressant les relations entre le Saint Siège et l'Allemagne sous le pontificat de Pie XI (1922-1939), dont le Cardinal Pacelli – futur Pie XII – fut le Nonce en Allemagne (1917-1929) puis le Secrétaire d'Etat. Ils donnent des éclaircissements sur les convictions et les choix politiques du futur Pie XII.

Elu Pape le 2 mars 1939, Pacelli était « très ami de l'Allemagne ». Jusqu'à son élection, il s'est employé à atténuer les mises en garde de Pie XI contre le nazisme (c'est à Pie XI qu'on doit le fameux encyclique Mit brennender Sorge de 1937). Dès son élection, Pie XII mit tout en œuvre pour pacifier les relations entre l'Eglise et l'Etat nazi. A l'ambassadeur allemand qu'il reçoit en premier, il laisse entendre que le régime politique instauré par Hitler lui paraît tout aussi acceptable que d'autres. Ainsi il ne protestera pas contre la liquidation de la Tchécoslovaquie, alors que Pie XI avait dénoncé l'annexion de l'Autriche par le Reich. Il décida même de ne jamais publier l'encyclique dite « cachée » condamnant la haine raciale et la persécution des Juifs que la mort empêcha son prédécesseur de publier.

Cette complaisance à l'égard du Reich est due à l'aversion extrême de Pie XII pour le bolchevisme et l'URSS. L'Allemagne nazie lui apparaît comme le meilleur rempart face au danger venu de l'Est. Le Vatican se tait quand l'Allemagne attaque la Pologne. Pie XII se garde de la condamner dans son encyclique Summi Pontificatus (20 octobre 1939), dans lequel il exprime sa compassion pour le peuple polonais catholique. Il aura la même attitude vis-à-vis des nations de l'Ouest de l'Europe, Belgique et France, envahies par les Nazis. Cette fois, explique l'auteur, il s'agit d'éviter toute déclaration qui amènerait les catholiques allemands à se détourner de Rome. Et Pie XII persiste dans cette attitude, malgré les nouvelles alarmantes qui arrivent de Pologne : arrestation de plusieurs centaines de prêtres, confiscation de biens ecclésiastiques…ou d'Allemagne : mise à mort de milliers de malades mentaux. Après l'attaque de l'URSS par Hitler, un diplomate allemand se félicite du contenu du sermon d'un haut dignitaire de l'Eglise catholique, Mgr Constantini. Il aurait dit : « Hier sur la terre d'Espagne, aujourd'hui en Russie bolchevique même, dans cet immense pays où Satan semble avoir trouvé son représentant et ses meilleurs collaborateurs, de vaillants soldats mènent le plus grand des combats ».

Au moment de la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), un seul prêtre, le Berlinois Lichtenberg, avait protesté. Cet événement ne suscita aucune réaction au Vatican. En 1935, l'archevêque de Fribourg n'avait vu aucun inconvénient au vote des lois raciales, sous prétexte que « chaque peuple porte la responsabilité du succès de son existence, et l'absorption d'un sang étranger représentera toujours un risque pour une nation qui a prouvé sa valeur historique ». Et quand le Maréchal Pétain consulte le Saint Siège sur le bien-fondé de ses lois anti-juives, il lui est répondu que « Saint Thomas lui-même recommandait de prendre des mesures propres à limiter l'action des Juifs […] Il serait déraisonnable de leur laisser, dans un Etat chrétien, exercer le gouvernement et réduire par là à leur autorité les catholiques ». Aucune objection donc, si ces mesures « sont administrées avec justice et charité ».

Face à la Solution finale,le Pape se contenta du fameux message de Noël 1942, tellement peu explicite que son contenu (allusion à ceux qui par le seul fait de leur race, sont voués à la mort) échappa à la plupart des auditeurs, aux Allemands en premier lieu. Il y a évidemment un lien entre ces prudences du Pape et la crainte de la menace bolchevique. Condamner explicitement les Allemands serait affaiblir le rempart contre le bolchevisme. Quant à l'aide apportée par l'Eglise catholique aux Juifs menacés, si elle exista, en Europe centrale notamment elle fut bien moindre que celle apportée par l'Eglise orthodoxe.

Le silence de Pie XII face aux crimes nazis et à l'extermination des Juifs n'en finit pas de retentir. En 2002, dans son film Amen , Costa-Gavras évoquait avec beaucoup de probité finalement la complaisance de Pie XII pour Hitler et son obsession anticommuniste. Malgré tout, le procès en béatification de Pie XII est toujours en cours au Vatican et le pape actuel Benoît XVI, dans le livre qu'il est en train de publier en ce moment, en plus de dix langues, Lumière du monde (l'édition française est réalisée par Bayard), affirme toujours de manière péremptoire et contre toute évidence que Pie XII n'a rien à se reprocher. La lecture du livre de Friedländer est donc indispensable.

Jean-Paul Salles.

 

Gilles VERGNON, L'antifascisme en France de Mussolini à Le Pen , Rennes, PUR, collection « Histoire », 2009, 236 pages, 17 euros. Mai 2010*

Mots clefs : antifascisme – gauche – socialisme – communisme.

Avec cette étude synthétique et solide, basée sur des recherches approfondies, Gilles Vergnon, professeur à l'IEP de Lyon, livre une synthèse précieuse sur l'évolution de l'antifascisme en France. Comme il le remarque lui-même en ouverture, il s'agit là d'un champ de recherche comparativement moins parcouru que d'autres « anti », moins bien balisé également du fait d'une définition problématique du phénomène fasciste (1). La définition de l'antifasciste a en tout cas le mérite de la clarté et du bon sens : toute personne ou groupe se qualifiant comme tel. La problématique centrale, reprise d'un questionnement proposé par Jean-François Sirinelli, s'interroge sur la caractérisation de l'antifascisme comme avatar de l'idée républicaine. Parallèlement, G. Vergnon démontre bien le caractère erroné de la thèse de François Furet, faisant de l'antifascisme une pure création communiste dans Le passé d'une illusion .

Cette rétrospective débute en 1922, avec l'apparition du terme dans la presse nationale. Ce premier antifascisme « de basse intensité » (p.22) naît des flancs de la Comintern (2), l'antifascisme étant alors une catégorie d'analyse extensive, entraînant des accusations quelque peu généralisées, et un moteur de mobilisation militante, sans recherche d'alliance large. C'est avec le Cartel des gauches, face à la réaction de la droite, que cet antifascisme évolue vers une défense de la démocratie républicaine par le biais d'une démarche unitaire (avec la création de formations paramilitaires), en une véritable anticipation du Front populaire. Une phase finalement brève, puisque la « troisième période » de la Comintern marque un élargissement de l'utilisation du terme de fascisme comme accusation rituelle, tellement étendue qu'elle en perd toute pertinence.

A partir de 1934 s'ouvre l'âge d'or de l'antifascisme de gauche par excellence, marqué par des slogans (« le fascisme ne passera pas », inspiré du souvenir de Verdun) et des gestes appelés à un grand avenir (le poing levé) (3). Gilles Vergnon s'arrête en particulier sur le mythe de la manifestation du 12 février, censée être spontanément unitaire à la base, et il montre bien l'importance des manifestations en province, avec des ordres du jour plus « socialiste-républicain » d'orientation que proprement communistes. Ce n'est que progressivement que le PCF acquiert le leadership de l'antifascisme, du fait d'une défense républicaine totalement assumée à travers une mue efficace de son discours. La définition du fascisme n'en demeure pas moins relativement vague, surtout pour le fascisme proprement français. L'antifascisme se lie en tout cas de plus en plus à la nécessité de la guerre, à l'aune principalement du conflit espagnol, tout en étant davantage coloré par le nationalisme : il s'opposerait en cela à un pôle révolutionnaire et à un pôle pacifiste intégral.

La période de la Seconde Guerre mondiale, globalement moins développée, voit surtout l'importance du patriotisme confirmée au sein de la Résistance , en même temps que persiste le registre du fascisme et de l'antifascisme. La période de l'après-guerre voit l'antifascisme revenir à de basses eaux, le PCF essentiellement tentant sans grand succès de le réactiver face au RPF de De Gaulle et à l'éphémère phénomène Poujade, auquel réagissent d'ailleurs plus largement les gauches. En fait, c'est durant les dernières années de la guerre d'Algérie que l'antifascisme unitaire et républicain fait son vrai retour, face à l'accession de de Gaulle au pouvoir et aux ultras de l'Algérie française (4). Si mai 58 est loin d'une répétition de février 34, manquant de renouvellement et de véritables perspectives, c'est dans l'opposition à l'OAS que l'activisme se manifeste, ainsi du Front universitaire antifasciste et des réactions à Charonne.

Toutefois, Gilles Vergnon montre bien que, déjà avec Poujade, mais plus encore à compter des années 1960, l'antifascisme s'identifie désormais à un antiracisme. A compter de mai 68, il est en outre surtout porté par l'extrême gauche : les maoïstes en un syncrétisme des diverses périodes courant des années 20 à 1945 (accusation de social fascisme à l'égard du PCF, Nouvelle résistance populaire de la Gauche prolétarienne) tandis que les trotskystes de la Ligue communiste concentrent surtout leurs coups sur les groupes d'extrême droite. Manque seulement à ce tableau une analyse approfondie des raisons de cette reprise du lexique antifasciste par une partie de l'extrême gauche.

L'attentat de la synagogue de la rue Copernic, en 1980, voit un « néo antifascisme » s'imposer plus largement, usant des rappels à la période de la Seconde Guerre et de Vichy, sans perspective concrète toutefois. Il en est de même pour les années 90, marquées en particulier par l'appel des 250 et la création de Ras l'front. La conclusion est sans appel : le « néo antifascisme » récent n'est que l'ombre pâle de l'antifascisme de jadis, défenseur d'une République sociale. Sans épuiser l'ensemble du sujet -on pense à l'anti-antifascisme d'une partie de l'extrême gauche, par exemple-, le travail de Gilles Vergnon s'impose incontestablement comme une référence.

Jean-Guillaume Lanuque

(1) Pour sa part, Vergnon retient comme définition celle d'« (…) « une droite extrême vécue dans un style de gauche extrême » tendant à projeter une communauté nationale épurée et régénérée vers une aventure impériale et belligène. » (p.14)

(2) A la suite de Pierre Broué, nous nommons ainsi l'Internationale Communiste, plus souvent appelée « le Komintern ».

(3) Voir Gilles Vergnon, « Le poing levé. Du rite soldatique au rite de masse. Jalons pour l'histoire d'un rite politique », Le Mouvement social, n°212, juillet-septembre 2005, pp.77-91.

(4) A cet égard, les accusations usant du registre fasciste vis-à-vis de l'armée française étaient déjà usuelles, venant de l'extrême gauche, lors de la guerre d'Indochine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

nous contacter