T Derbent

Guerres Prolétariennes

De la science militaire prolétarienne. Examen d'une interrogation récurrente à la
lumière du débat entre Trotski et Frounzé. T Derbent
Tout projet de révolution sociale doit anticiper la question de l’affrontement armé aux forces du pouvoir et
de la réaction.
La pensée militaire révolutionnaire est pourtant aujourd'hui indigente. Ses propositions sont les produits
bâtards des méthodes historique (fondée sur l’expérience, qui se base sur les antécédents historiques avec les
risques de dogmatisme et de conservatisme que cela comporte) et philosophique (fondée sur la théorie, qui
procède par raisonnement déductif avec les risques de subjectivisme que cela comporte), méthodes
employées sans aucun recul méthodologique ou épistémologique.
Pourtant, ce domaine a fait l'objet de débats théoriques de haut vol, gravitant autour de la question de la
possibilité d’une science militaire prolétarienne. Ce débat a d'abord opposé Trotski à Staline et Vorochilov
en 1918, puis à Frounzé en 1921, pour de se conclure au XIe Congrès du PC(b)R, en avril 1922.
Il faudra revenir sur le concept de science prolétarienne, généralement disqualifié par l'affaire Lyssenko.
Devenu synonyme de mise au pas de la science par l'idéologie, il était pourtant une clé pour libérer la
première de la seconde. Ce qui caractérise la science prolétarienne (et fonde sa supériorité) ce sont ses
priorités et sa largeur de vue. Il n'y a pas une manière bourgeoise ou prolétarienne de tirer à la mitrailleuse ou
de creuser une tranchée, tout comme, en médecine, il n'y a pas une manière bourgeoise ou prolétarienne de
réduire une fracture ou de greffer un rein. Mais la position de classe va entraîner la science dans des
développements bien différents. La médecine bourgeoise va développer les techniques de greffe cardiaques
extrêmement onéreuses à l'usage des nantis, tandis que la médecine prolétarienne va s'appuyer sur une
politique de prévention (à commencer par l'hygiène alimentaire) qui rendront les techniques bourgeoises
sinon superflues, du moins exceptionnelles.
Alors qu'en est-il dans le domaine militaire ? Entre la déviation gauchiste, qui nie toute validité au corpus de
la science de la guerre élaborée sous le régime bourgeois, et la déviation droitière qui professe une imitation
servile de la pensée militaire bourgeoise, il est une voie étroite qui reste encore à baliser, et l'étude du débat
de 1921 (celui de 1918 n'en est que le prodrome) doit servir de base à cette réflexion pour sa qualité,
indépassée.
Le débat a opposé deux thèses :
- Celle défendue par Trotski, soutenue par le général et théoricien militaire Svetchine, qui réfute le fait qu’il
puisse y avoir une science ou même une doctrine militaire prolétarienne.
- Celle défendue par celui qui succédera à Trotski, Frounzé, soutenue par le futur maréchal Toukhatchevski,
qui propose l’élaboration d’une "doctrine militaire unique" devant unifier les points de vue de l’armée, du
parti communiste et du prolétariat, du pouvoir et de la société soviétiques.
La contribution prévoit :
- la traduction des documents du débats ;
- leur examen par rapport à leurs références communes (les partisans des deux thèses prétendent se fonder
sur Clausewitz et Marx-Engels) ;
- leur examen les uns par rapport aux autres ;
- l'examen de leur postérité.
T. Derbent
Auteur (e. a.) de Clausewitz et la guerre populaires, Aden, Bruxelles, 2004
http://www.agota.be/t.derbent